Déception et stupéfaction se sont exprimées jeudi après le discours du président nigérian Muhammadu Buhari, qui s’est montré intransigeant face au soulèvement populaire dans le sud du Nigeria et n’a pas mentionné la répression sanglante qui a ému le monde entier.
Le chef de l’État a parlé à la télévision 48 heures après la répression menée mardi contre des milliers de manifestants pacifiques à Lagos par des militaires et la police, qui a fait au moins 12 morts selon l’ONG Amnistie internationale.
Cette répression et la mise en place d’un couvre-feu à Lagos mardi ont été suivies par deux jours d’émeutes et de pillages à Lagos, la capitale économique du Nigeria.
Dans son discours, le prĂ©sident a prĂ©venu les manifestants qu’il n’autoriserait « personne ni aucun groupe Ă mettre en pĂ©ril la paix et la sĂ©curitĂ© nationale ». Â

«RĂ©sistez Ă la tentation d’être utilisĂ©s par des Ă©lĂ©ments subversifs pour causer le chaos et tuer notre jeune dĂ©mocratie», a lancĂ© Ă la jeunesse M. Buhari, ancien gĂ©nĂ©ral putschiste dans les annĂ©es 1980 puis dĂ©mocratiquement Ă©lu en 2015. Â
Après l’allocution, les réactions des célébrités nigérianes engagées aux côtés des manifestants oscillaient entre la sidération et la déception.
«Quelqu’un a remarquĂ© que le prĂ©sident ne pouvait mĂŞme pas reconnaĂ®tre les vies perdues et les personnes blessĂ©es Ă cause de la gâchette de policiers ?», a dĂ©clarĂ© sur Twitter l’actrice nigĂ©riane Kemi Lala Akindoju. Â
«Au lieu de cela, il a célébré les braves policiers qui ont perdu la vie. Rien sur les fusillades», a-t-elle ajouté.
C’était la première fois que le prĂ©sident s’exprimait depuis la rĂ©pression des manifestations, dont il n’a fait aucune mention directe. Â
Le chanteur Davido, Ă©coutĂ© dans le monde entier, a tweetĂ© juste après le discours le mot «Wahala», qui signifie en argot nigĂ©rian la souffrance ou la peine. Â
«Aucune empathie, aucune capacitĂ© Ă rassembler le peuple, ou mĂŞme Ă montrer que vous comprenez ce qui se passe. Vous ne nous avez rien donné», a Ă©crit sur Twitter Feyikemi Abudu, l’une des figures de la contestation. Â
Ce mouvement a commencĂ© dĂ©but octobre pour protester contre les violences policières, les manifestants demandaient notamment la fin d’une unitĂ© de police accusĂ©e de racketter la population, d’arrestations illĂ©gales, de torture et mĂŞme de meurtre. Â
Le 12 octobre, le prĂ©sident avait annoncĂ© la dissolution de cette brigade et promis de rĂ©former la police.Â
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Jeudi soir, M. Buhari a affirmé avoir «montré des signes de faiblesse en acceptant les cinq demandes faites par les manifestants» pour réformer la police.
Rapidement, le mouvement s’est mué en un soulèvement contre le pouvoir. Depuis deux semaines, au moins 56 personnes sont mortes dans ces manifestations, selon Amnistie internationale.
Le discours de M. Buhari Ă©tait très attendu par les 200 millions de NigĂ©rians, mais aussi au-delĂ des frontières du pays. Â
Des vidĂ©os de manifestants agitant des drapeaux et chantant l’hymne national face Ă des militaires qui tiraient au-dessus d’eux ont Ă©tĂ© relayĂ©es dans le monde, provoquant l’indignation. Â
Les États-Unis, l’Union africaine, l’Union européenne et l’ONU ont condamné les violences et ont demandé que leurs responsables soient traduits en justice.  Jeudi soir, le président les a remerciés, les invitant cependant «à attendre d’avoir tous les éléments entre les mains avant de juger».
La déception était grande jeudi aussi parce que de nombreux Nigérians attendaient du discours du président que les responsables de la répression soient désignés.
L’armĂ©e et la police, pourtant mises en cause, ont niĂ© ĂŞtre impliquĂ©es.Â
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Après ce «mardi sanglant», comme l’ont appelé les Nigérians indignés, Lagos a plongé dans le chaos, des supermarchés ont été pillés, des coups de feu ont été tirés, et deux prisons ont été attaquées avant que les forces de l’ordre n’en reprennent le contrôle.
Un entrepôt où étaient stockés des milliers de sacs de vivres destinés à être distribués aux ménages pauvres affectés par la pandémie du coronavirus a aussi été pillé jeudi.
Sur des vidĂ©os, on pouvait voir des centaines d’hommes et de femmes transportant des sacs blancs estampĂ©s du sigle «Covid». Â
Le Nigeria, première puissance économique du continent africain grâce à son pétrole, est aussi le pays au monde qui compte le plus grand nombre de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté.
Ă€ Lekki, le quartier de Lagos oĂą l’armĂ©e avait tirĂ© sur les manifestants, les soldats avaient repris le contrĂ´le des rues jeudi. La situation Ă©tait calme autour d’un grand centre commercial totalement dĂ©truit.Â
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«Maintenant ils savent de quoi nous sommes capables», a dit l’un des jeunes, toujours prĂ©sent sur les lieux et toujours en colère. «On ne croira plus Ă leurs conneries dĂ©sormais», a-t-il lancĂ©, la voix Ă©raillĂ©e. «Nous avons juste faim, nous sommes fatiguĂ©s». - AfricaLog avec agence Â