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Guinée : « Il y a une nouvelle donne, les choses ont radicalement changé »

Sep 30, 2009

Les Guinéens ont enfin pu entendre, mardi 29 septembre, le capitaine Moussa Dadis Camara sur les médias nationaux. Il aura fallu vingt-quatre heures au chef de la junte pour sortir de son silence et décrire son scénario des événements de lundi, la tuerie du Stade du 28-Septembre, soldée par la mort d'au moins 157personnes tombées sous les balles de militaires. Une version "officielle" des faits que les dizaines de milliers de Guinéens qui avaient répondu, lundi, à l'appel de l'opposition à manifester dans la capitale auront du mal à partager.

Mardi, Dadis Camara a donc fait le tour des hôpitaux de la ville pour rendre visite à quelques-uns des 1 200 blessés de la veille. "Je suis venu partager la douleur des victimes et les réconforter. Je suis choqué", leur a-t-il dit. Mercredi et jeudi ont été décrétés jours de deuil par la junte (au pouvoir depuis décembre 2008), qui a interdit "tout regroupement de quelque nature que ce soit à caractère subversif".

Surtout, le capitaine Camara a livré le fond de sa pensée sur le massacre, pointant la responsabilité sur le Forum des forces vives de Guinée, le très large front unissant les principaux partis politiques (habituellement désunis) et acteurs de la société civile, opposé à sa candidature à l'élection présidentielle du 31 janvier 2010. "Ce n'est pas la première fois que cela (une tuerie) arrive en Guinée, ce sont les mêmes leaders (de l'opposition) qui ont poussé les enfants à la boucherie en 2007. Ils distribuent de l'argent aux enfants pour les pousser à la révolte. Ce qu'ils ont fait lundi était prémédité", a-t-il lancé.

En janvier 2007, le régime finissant de Lansana Conté avait réprimé dans le sang un mouvement de grève générale. Des dizaines de personnes avaient été tuées notamment par les "bérets rouges" de la garde présidentielle, l'unité militaire d'origine du capitaine Camara. Lundi 28 septembre, ces mêmes bérets rouges étaient aux avant-postes tirant sur une foule désarmée, prise au piège dans le Stade du 28-Septembre, selon les très nombreux témoignages. "Les bérets rouges sont un peu les gardiens du temple. Mais l'armée est très divisée en différents clans et il est difficile de savoir quelle autorité Dadis Camara exerce sur eux", observe Sylvain Touati, chercheur à l'Institut français de relations internationales (IFRI).

"Que le peuple de Guinée fasse attention face aux assoiffés de pouvoir, je crois qu'il y aura une commission d'enquête pour situer les responsabilités", a tonné le capitaine Dadis.

En matière de responsabilité, les diplomates occidentaux ont une autre opinion. "La responsabilité de Dadis est pleinement engagée", confie l'un d'eux. "Au départ, lorsque la junte a pris le pouvoir, Dadis Camara était un personnage plutôt pittoresque, un peu décousu certes mais qui paraissait animé de bonnes intentions. Les choses se sont dégradées petit à petit", ajoute le diplomate. "Ces derniers temps, on sentait une dérive politique de la junte par rapport à ses engagements publics et une dérive disciplinaire de certains éléments des forces armées qui faisaient un peu n'importe quoi sans être punis", explique-t-il. "Mais jusqu'à présent, il n'y avait pas eu d'assassinat. Ce qu'il s'est passé lundi montre que le Rubicon a été franchi", conclut-il.

Et ce n'est peut-être pas fini. Car la prise de position du chef de la junte résonne comme une menace à peine voilée en direction d'une opposition sous le choc. "Nous devons prendre le temps de nous organiser afin de pouvoir repartir. Mais je suis pessimiste sur les chances de médiation avec une junte qui occupe tout le terrain", confie, sous couvert d'anonymat, l'un des organisateurs du Forum des forces vives parti se mettre à l'abri en dehors de Conakry. "Logiquement, la deuxième étape de la répression serait de nous arrêter", ajoute-t-il. Mercredi, le Forum des forces vives devait se réunir pour évaluer la situation. "Il y a une nouvelle donne depuis lundi. Les choses ont radicalement changé", confie-t-il.

Dans la capitale, mardi, des tirs sporadiques ont éclaté tout au long de la journée. Des groupes de jeunes "anti-Dadis" ont enflammé des pneus sur l'un des axes de Conakry, pourtant quadrillée par les militaires.

Sans commune mesure avec la tuerie de la veille, de nouvelles violences ont été constatées. "Nous avons enregistré, aujourd'hui encore, trois cas de morts par balles de l'armée. Les jeunes sont sortis dans la rue et les militaires leur ont tiré dessus", affirme le responsable de l'Organisation guinéenne des droits de l'homme (OGDH), Thierno Maadjou Sow. – Le Monde 

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