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Le Canada scandalisé par les reportages d’un «journaleux»

May 25, 2015
Le Canada scandalisé par les reportages d’un «journaleux»

Le journaliste François Bugingo a inventé de toutes pièces plusieurs reportages internationaux. Lesquels sont vrais, lesquels sont faux?

C'est «l'un des moments les plus douloureux» que François Bugingo ait «jamais vécu dans [sa] carrière de journaliste et de témoin de toutes les guerres qui ont endeuillé le monde dans les 20 dernières années».

À Misrata, en Libye, «l'un des tortionnaires les plus zélés du régime du dictateur Kadhafi » est sur le point d'être exécuté par des miliciens triomphants. L'homme, menotté, dégage une odeur fétide : sans doute s'est-il fait dessus. Son visage est boursouflé des coups qu'il a reçus. Alors que des combattants surexcités l'entraînent vers son lieu d'exécution, il se tourne vers François Bugingo et lui crie : «I hate the bad man the Guide made of me».
Cette histoire a été relatée par François Bugingo lui-même dans son blogue, hébergé sur le site internet du Journal de Montréal, le 11 février 2014. Une scène d'une grande violence, sûrement douloureuse pour tout journaliste qui aurait eu le malheur d'y être confronté.
Le problème, c'est que François Bugingo n'a jamais mis les pieds à Misrata. Il n'a jamais vu un tortionnaire du régime Kadhafi sur le point de se faire exécuter par des milices rebelles en Libye.

Il n'a pas davantage trinqué avec les tireurs d'élite serbes de Sarajevo en 1993;
Il n'a pas négocié la libération d'un journaliste otage avec des terroristes d'Al-Qaïda en Mauritanie en septembre 2011;

Il n'était pas représentant de la Commission européenne auprès du ministre égyptien de l'Intérieur au Caire, en février 2011;

Il n'était pas à Mogadiscio, en Somalie, le 4 août 2011.

François Bugingo a pourtant publiquement prétendu tout cela, au cours des dernières années, aux micros de différents médias - y compris ceux de La Presse, de Radio-Canada, de TVA, de Télé-Québec, du Devoir, du 98,5fm et du Journal de Montréal. Le reporter dispose d'une large tribune au Québec. Notre enquête démontre toutefois que ses faits d'armes journalistiques sont parfois très romancés, quand ils ne sont pas carrément faux.

Dans le cas de Misrata, François Bugingo a lui-même nié s'y être rendu, au cours d'une longue entrevue avec La Presse, le 15 mai dernier : «Non, je ne suis pas allé à Misrata », a-t-il dit. Lorsque nous avons évoqué la «douloureuse» scène du tortionnaire bientôt mis à mort par les milices de la ville, le journaliste a continué à nier: «Non, non, non. J'ai dû le lire quelque part.»

La fable de Sarajevo

De passage à l'émission Deux filles le matin à TVA, le 14 octobre dernier, François Bugingo a évoqué le siège de Sarajevo lorsque l'animatrice lui a demandé de parler d'un «moment marquant, une rencontre qui a changé [sa] vision de la vie».

«Je dirais, en 93, dans la guerre de Bosnie, a-t-il répondu. Je me rappellerai toujours, à Sarajevo, cet homme-là qui, tout l'après-midi, avait passé le temps à tirer, à tirer, à tirer. Et puis le soir, il a sorti une bouteille de slivovitz (alcool slave) et il s'est mis à jouer de la guitare, et je me suis rendu compte que c'était un artiste exceptionnel.»

Interrogé à ce sujet, François Bugingo a précisé qu'il s'était plutôt rendu à Sarajevo en 1995 avec les journalistes français Thierry Cruvellier et Patrick Muller, afin d'y mettre en place une publication, l'International Justice Tribune (IJT). «Je suis allé là pour eux, avec eux.»

Contactés par La Presse, Patrick Muller et Thierry Cruvellier ont tous deux déclaré qu'ils ne s'étaient jamais rendus à Sarajevo avec François Bugingo. En fait, M. Cruvellier a fondé l'IJT en 2004 et s'est rendu pour la première fois en Bosnie en 2005. M. Muller est bien allé à Sarajevo dans le cadre d'un projet média en 1995, mais pas avec François Bugingo.

Des reportages inexistants

François Bugingo, 41 ans, prétend avoir visité 152 pays et couvert la majorité des grands conflits qui ont ravagé la planète au cours des deux dernières décennies, notamment en Irak, en Afghanistan, au Liberia, au Rwanda, en Algérie, au Sierra Leone, en Colombie, au Liban, en Bosnie, au Sri Lanka. Mais les reportages émanant de cette impressionnante couverture sont rares, et souvent même inexistants.

C'est le cas de la guerre en Irak, en 2003. En entrevue, François Bugingo a juré qu'il y était bel et bien, mais que le magazine L'actualité n'était pas intéressé par l'achat de son reportage. À L'Actualité, on n'a pas pu confirmer, puisqu'on n'a pas souvenir de cette proposition de pige.

Dans le numéro juillet-août 2008 du magazine Réussir ici, François Bugingo raconte qu'avant son arrivée au Québec, en 1997, il était pigiste à RFI, à l'Agence France-Presse (AFP) et à l'Agence panafricaine de presse (PANAPRESS). Aujourd'hui, il nie avoir été pigiste pour ces trois agences.

François Bugingo a souvent répété être «devenu un homme» lorsqu'il s'est rendu au Rwanda, à 20 ans, pour couvrir le génocide du printemps 1994. Ses reportages sont introuvables. Il dit en avoir écrits - sans les signer - pour un défunt hebdomadaire burundais, en plus d'alimenter le journaliste français Jean Hélène, de Radio France Internationale (RFI).

François Bugingo se retire

Dans un communiqué publié dimanche soir par l'entremise de son avocate, M. Bugingo affirme qu'il prendra le temps nécessaire «pour répondre aux allégations».

Il indique avoir décidé de se retirer de la vie publique temporairement pour préserver la «sérénité» de sa famille et de ses proches, et pour lui permettre de répondre aux allégations «avec le même professionnalisme» dont il dit avoir toujours fait preuve.

Les révélations de La Presse ont provoqué un séisme dans le monde médiatique. Un des employeurs de M. Bugingo, la station de radio 98,5 FM, a annoncé samedi qu'elle suspendait ses collaborations avec lui, «le temps de faire la lumière sur ces événements». Le Groupe TVA a également annoncé une mesure similaire.

Samedi sur Facebook, François Bugingo s'était dit «sidéré» par les informations de La Presse voulant qu'il ait inventé de toutes pièces plusieurs de ses reportages à l'étranger et ce, sur plusieurs années.

Dans ce reportage attaquant fortement la crédibilité du journaliste, des témoins mettent en doute la véracité des informations rapportées par M. Bugingo.
Sur sa page Facebook, M. Bugingo a qualifié l'article de «dégradant», affirmant que l'information qu'il dévoile est «toujours vérifiée». Il ajoute avoir l'intention de défendre son intégrité «en temps et lieux» devant les instances concernées.

M. Bugingo tenait une chronique quotidienne sur les affaires internationales au 98,5 FM, en plus d'alimenter un blogue et une chronique au Journal de Montréal. Le journaliste intervenait aussi sur les ondes de TVA. Il a également travaillé à Télé-Québec et à Radio-Canada.

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec, qui se dit «très préoccupée» par la situation, souhaite rencontrer le chroniqueur.

«Mon avocate et moi poursuivons notre pleine collaboration avec mes différents employeurs afin d'apporter (des) réponses aux questions soulevées par cet article», affirme M. Bugingo dans le communiqué. – AfricaLog avec La Presse

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