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Guinée : rapport sur les évènements de N’Zérékoré

Feb 23, 2010

AfricaLog vient d’obtenir le rapport sur Ă©vènements sanglants de N’NzĂ©rĂ©korĂ©.  Le vendredi 29 janvier 2010, aux environ de 12 heures locales (GMT), une jeune fille, Jeannette SAGNO, 28 ans,  revenait de PKAYA, un village situĂ© Ă  10km de NzĂ©rĂ©korĂ© en allant Ă  BEYLA, oĂą se tenait un marchĂ© hebdomadaire. ArrivĂ© près de la mosquĂ©e dĂ©nommĂ©e « FORET SACRE Â», situĂ©e dans le quartier de Gonia 2, elle trouva la rue occupĂ©e par les musulmans qui cĂ©lĂ©braient la prière hebdomadaire de vendredi. Elle insista pour passer et se voit interdite de passage par un garde communal, Souleymane CAMARA. Une altercation s’en suivit puis la bagarre Ă©clata entre les deux individus. Les sages se saisissent de la question et convoquent une assemblĂ©e rĂ©unissant la « communautĂ© des ressortissants Â», les sages eux-mĂŞmes et les « organes consultatifs Â» pour dĂ©nouer la crise. Les rĂ©solutions suivantes ont Ă©tĂ© adoptĂ©es et soumises Ă  l’autoritĂ© pour exĂ©cution :

1-      le remboursement des deux millions cinq cent mille francs guinĂ©ens (soit 250 euros) que la femme a dĂ©clarĂ© avoir perdu ainsi que les quatre-vingt (80) kg de riz qu’elle a affirmĂ© Ă©galement avoir perdu pendant les heurts.

2-      L’interdiction faite aux musulmans d’occuper la voie publique pendant les prières ;

3-      La prise en charge des frais nĂ©cessaires pour les soins de santĂ© de la fille ;

4-      La prĂ©sentation d’excuses publiques Ă  la fille accompagnĂ©es de noix traditionnelles de colas ;

5-      La prise de sanction par le conseil de mosquĂ©e contre les coupables.

Le vendredi suivant, le 05 fĂ©vrier prĂ©cisĂ©ment, des forces de l’ordre ont Ă©tĂ© dĂ©pĂŞchĂ©es sur les lieux pour faire respecter la dĂ©cision de non occupation des voies publiques ; une corde de dĂ©limitation a donc Ă©tĂ© attachĂ©e Ă  cette fin. Des jeunes musulmans mĂ©contents de cette mesure ont rĂ©agi en coupant la corde et en envoyant des cailloux en direction des forces de l’ordre. De violents affrontements ont lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants faisant ainsi, cinquante et un (51) blessĂ©s parmi lesquels quatorze (14) militaires et huit (8) hospitalisations ; certains jeunes non musulmans seraient venus au secours des forces de l’ordre en envoyant des cailloux en direction des manifestants, ce qui expliquerait le bilan relativement lourd. La bataille se transporte dans les quartiers et opposent dĂ©sormais les malinkĂ©s aux guerzĂ©s, deux ethnies qui se sont dĂ©jĂ  affrontĂ©es dans les annĂ©es 90 suite Ă  des divergences politiques.

Ainsi, des morts sont Ă  dĂ©plorer :

 

1-      Le 06 fĂ©vrier, Joseph BALAMOU, 38 ans, chauffeur, a Ă©tĂ© battu Ă  mort ;

-Arafan KEITA, 50 ans, est porté disparu, puis retrouvé enfoui dans la terre derrière la concession Eugène Philipe LOUA, chef du quartier de Bama 2 une semaine plus tard.

 

2-      Le 07 fĂ©vrier, Yacouba KEITA, commerçant, 47 ans, mort brĂ»lĂ© vif dans sa maison et trois blessĂ©es.

 

3-      Le 08 fĂ©vrier, Djefadima KANTE, 60 ans, a Ă©tĂ© retrouvĂ©e Ă©gorgĂ©e dans sa maison, sa belle fille poignardĂ©e puis hospitalisĂ©e, une autre, Moussa KONATE, portĂ©e disparu et quatre blessĂ©s.

 

Le gouvernement a dépêché sur place une mission dirigée par l’ancien gouverneur de région et ministre de l’agriculture, Bouréma CONDE. La mission comprenait des religieux, musulmans et chrétiens qui ont réussi à faire baisser la tension, même si le calme est précaire. Je signale que le dimanche 08 février, seulement une heure après le départ de la délégation, une femme a été blessée avec son enfant et transportée d’urgence à l’hôpital.

RECIT :

Les Ă©meutes qui ont ensanglantĂ© la ville de N’ZĂ©rĂ©korĂ© sont partis du cĂ´tĂ© nord de la mosquĂ©e dite de la « forĂŞt sacrĂ©e Â». C’est cette route qui avait Ă©tĂ© occupĂ©e par les musulmans pour cĂ©lĂ©brer la prière de vendredi et c’est par lĂ  que dĂ©sirait passer la demoiselle jeannette SAGNO. La mosquĂ©e se situe au quartier Gonia 2. Jeannette est une non musulmane de 28 ans et est originaire du quartier Gbagalaye ; son père, connu sous le pseudonyme de « ivoirien Â» est un ancien rĂ©sidant de la CĂ´te-d’Ivoire voisine. L’imam SĂ©kou KOUROUMA affirme que la route a Ă©tĂ© occupĂ©e parce que le cĂ´tĂ© Nord qu’occupaient une partie des fidèles connaĂ®t des travaux actuellement et que tous les fidèles se sont retrouvĂ©s du mĂŞme cĂ´tĂ©. Il a Ă©galement expliquĂ© que l’école primaire collĂ©e Ă  la mosquĂ©e ouvrait sur la troisième voie et que les fidèles risquaient d’être dĂ©rangĂ©s a la fin des cours, raison pour laquelle ils prĂ©fèrent ne pas s’y installer.

Un responsable de la société civile a affirmé sous anonymat que les routes ont toujours été barrées pendant les prières de vendredi et que les travaux en cours n’étaient qu’un alibi.

 

SĂ©kou Abassi KOUROUMA, dit « gĂ©ographie Â», nĂ© le 28 mars1972 Ă  Sibiribaro dans la prĂ©fecture de KĂ©rouanĂ©. De Mory et de Wata Camara. Il est professeur d’arabe et est l’imam principal de la mosquĂ©e incriminĂ©e. C’est lui qui a conduit les nĂ©gociations et s’est engagĂ© Ă  soigner Jeannette et Ă  lui restituer ce qu’elle dit avoir perdu, c’est-Ă -dire les deux millions et demi de francs guinĂ©ens, soit environ deux cent cinquante euros, et quatre-vingt kg de riz. Il a adressĂ© un rapport contenant sa version des faits Ă  sa hiĂ©rarchie, la ligue islamique communale dont nous nous sommes procurĂ©s copie que vous trouverez Ă  la page suivante :

 

Yacouba KEITA. 47 ans, commerçant Ă  Nzerekore. De Mamadi et de Naromba Djoumessy, domiciliĂ© au quartier Astaldi oĂą la plupart des pertes en vies humaines ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es. Yacouba Ă©tait polygame : sa première Ă©pouse s’appelle Nankoria KEITA et la seconde en se nomme Kadiatou KEITA et c’est dans la chambre de cette dernière que Yacouba aurait trouvĂ© la mort, brĂ»lĂ© vif. Yacouba Ă©tait père de quatre enfants dont deux filles. Nous avons recueilli beaucoup d’informations sur les circonstances de sa mort, mais celle qui nous a paru plus prĂ©cises et plus dĂ©taillĂ©e est celle de sa seconde Ă©pouse, sous les yeux de laquelle toute la scène s’est dĂ©roulĂ©e jusqu’à l’instant tragique. Nous vous livrons fidèlement le contenu de son tĂ©moignage :

Kadiatou KEITA donc, la vingtaine, de Mandjou et de Mbalou CONDE raconte :

 :Le samedi 07 fĂ©vrier 2009, au lendemain des Ă©meutes de vendredi Ă  la mosquĂ©e de la « forĂŞt sacrĂ©e Â», j’étais dans ma chambre avec mon mari et nous bavardions ; il Ă©tait prĂ©cisĂ©ment 17 heures 20 minutes quand ma coĂ©pouse est venue l’informer de rumeurs qui circulaient dans le quartier et qui faisaient Ă©tat de la dĂ©cision de certains jeunes guerzĂ© qui se prĂ©paraient Ă  venir nous attaquer. Il se leva brusquement et alla Ă  la porte, puis revint prendre son fusil et des munitions qu’il a soigneusement cachĂ© dans un sac qu’il dĂ©posa près de lui. Il nous demanda de ne pas nous affoler car de toutes les façons, nous n’avons pas d’échappatoire s’ils veulent s’attaquer Ă  nous. Quelques instants plus tard, une moto passait avec un militaire derrière ; dès que le militaire aperçut mon mari, il sauta de la moto et se mit Ă  le pourchasser. Des jeunes guerzĂ©s l’ont aidĂ© et il a Ă©tĂ© rattrapĂ© ; je ne sais vraiment pas ce qui est arrivĂ© lĂ -bas, mais j’ai vu mon mari revenir Ă  la maison, blessĂ© Ă  la tĂŞte. Il est venu se coucher Ă  nouveau dans ma chambre et je le voyais souffrir Ă©normĂ©ment. Ma coĂ©pouse avait disparu de peur, et moi je ne pouvais pas l’abandonner, bien que j’avais peur. Je dĂ©cidai de le supporter et de mourir avec lui. Des hommes en tenue militaire sont venus s’introduire dans la maison et ils l’ont ligotĂ© ; je criais et personne ne venait Ă  notre secours.Quand je tentais de le dĂ©tacher avant l’arrivĂ©e des parents que nous avions appelĂ©s au tĂ©lĂ©phone, j’ai vu entrer deux messieurs que je connais et qui sont des amis Ă  lui. L’un s’appelle Siba et l’autre PĂ©pĂ©. Ils sont entrĂ©s et ont aspergĂ© la maison d’essence avant de mettre le feu. J’ai tentĂ© de tirer mon mari en vain et il m’a demandĂ© avec force de partir vite et de le laisser mourir. J’ai pris la fuite en abandonnant mon pauvre Ă©poux dans la flamme. AlertĂ©es, les forces de sĂ©curitĂ© sont allĂ©es, paraĂ®t-il soustraire son corps sans vie des cendres, et voilĂ  comment s’achève ma vie de couple. Je veux la justice, rien que la justice, il faut la justice.

Après avoir analysĂ© les diffĂ©rents tĂ©moignages, nous sommes surpris de l’acharnement dont a Ă©tĂ© victime Yacouba et qui a conduit Ă  sa fin tragique ; aussi, nous pensons que quelque chose de prĂ©cis devait ĂŞtre reprochĂ© Ă  tort ou Ă  raison Ă  Yacouba. Nous avons eu l’impression que le militaire Ă©tait Ă  la recherche de Yacouba, pourquoi ? Pourquoi Yacouba s’est-il armĂ© de fusil ? Savait-il qu’il Ă©tait recherchĂ© par ceux qui voulaient le tuer ?  Yacouba aurait-il fait usage de son arme ?

Voilà autant de questions qui méritent d’être répondues. Ce qui nous a marqué durant cette enquête est l’appel à la justice lancé par la pauvre veuve et nous sommes d’avis avec elle.

 

Cette pauvre dame Ă©gorgĂ©e ( sur la photo)  s’appelle DjĂ©fadimah KANTE, 60 ans, nĂ©e Ă  Bodou dans la prĂ©fecture de kĂ©rouanĂ© ; de Djèba et de Djessona KOUYATE, Ă©pouse de Sidiki DOUMBOUYA, commerçant Ă  NzerekorĂ© ; elle Ă©tait mère de quatre enfants dont deux filles. DomiciliĂ© au quartier Manangbolo derrière Astaldi , elle reçut la visite de ses bourreaux au moment elle Ă©tait seule Ă  la maison avec sa belle fille, Gnalen KOUROUMA, Ă©pouse de son fils Laye KOUROUMA, en voyage au moment des faits.

 

C’était le dimanche 08 fĂ©vrier 2009, Ă  11 heures du matin, selon Gnalen, qu’un groupe de jeunes guerzĂ©s est entrĂ© Ă  la maison et sans dire mot, j’ai vu ma belle-mère terrassĂ©e et immobilisĂ©e ; l’un a sorti son couteau  et l’a Ă©gorgĂ© comme un mouton avant de me poignarder au dos quand je tentais de m’échapper. Je prĂ©cise que Gnalen Ă©tait le seul tĂ©moin oculaire de cette tragĂ©die et au moment oĂą nous diligentions l’enquĂŞte, elle Ă©tait hospitalisĂ©e au lot numĂ©ro 15 de la salle une de l’hĂ´pital principal de NzerekorĂ©, assistĂ©e de sa mère Fatouma KOUROUMA. Gnalen est mère de trois enfants dont deux filles et elle ignore son âge, de mĂŞme que sa mère. Des connaissances pensent nĂ©anmoins qu’elle aurait entre vingt et vingt-cinq ans. Fille d’un commerçant très connu de la place nommĂ© FodĂ© KOUROUMA, GnĂ©len disait vouloir ĂŞtre Ă©vacuĂ©e Ă  Conakry pour recevoir des soins.

Le voisin de la famille, Karamo KONATE, affirme avoir été alerté par les cris de détresse et au moment de son arrivée sur les lieux, les criminels avaient déjà pris la fuite et le corps sans vie de Djessona gisait sur le sol. Il n’est donc pas capable d’apporter des témoignages sur le déroulement de la scène macabre.

 

Le vendredi 05 février 2009, Arafan KEITA est porté disparu. Ce cultivateur de soixante cinq ans, marié à trois épouses et père de dix-huit (18) enfants dont neuf filles est originaire de Babilla dans la préfecture de Kouroussa en haute Guinée. De Setoh et de Nountenin KEITA, il vivait avec son frère Adama KEITA, bigame d’une soixantaine d’années et père de dix-sept enfants dont sept filles.

 

Nous avons interrogé une dizaine de témoins, celui qui a retenu notre attention est venu de sa fille Séré KEITA, une jeune collégienne de dix-neuf (19) ans qui se prépare à affronter le BEPC. Séré est fille de la dernière épouse de Arafan, Djenabou KABA.

Selon SĂ©rĂ©, son père aurait quittĂ© la maison pour la prière de vendredi vers 12 heures de la journĂ©e et il n’y est plus revenu. Arafan fut retrouvĂ© mort dans une fosse, presque en Ă©tat de dĂ©composition derrière le domicile du chef de quartier de Bama 2, Eugène Philippe, le jeudi suivant. Les autoritĂ©s ont refusĂ© que le corps soit rendu Ă  la famille sous prĂ©texte que cela pourrait donner lieu Ă  des Ă©meutes. La fosse dans laquelle le corps a Ă©tĂ© dĂ©couvert a Ă©tĂ© transformĂ©e en tombe comme le montre la photo suivante :

 

 

Moussa KONATE, dit Koffi, 25 ans, de Malick et de Fanta KOUROUMA est époux de N’nassona KEITA. Ce commerçant résidant au quartier Gboyoba sous la tutelle de Moussa DOUMBOUYA, est introuvable depuis le vendredi 05 février 2002 à 12 heures locales après avoir quitté sa famille pour la prière de vendredi. Probablement tué comme Arafan, les chances de retrouver son corps s’amenuisent chaque jour et ses proches pensent que les autorités seraient en train de dissimuler l’information sur le lieu où serait caché le corps pour ne pas susciter de nouveaux soulèvements.

 

Moussa KONATE, 25 ans, porté disparu

De notre point de vue, le refus de rendre le corps de Arafan Ă  sa famille après que le corps ait Ă©tĂ© dĂ©couvert par des proches suscite de nombreuses interrogations. Que cherche Ă  cacher l’autoritĂ© ? Arafan aurait-il reçu une balle tirĂ©e par les forces de l’ordre ? Que se cache-t-il derrière la disparition de Moussa KONATE ? Aurait-il Ă©tĂ© Ă©galement tuĂ© par balle ?

Nous savons de toutes façons que des tirs auraient eu lieu. De la part de qui ?

Pour preuve,  la dame Fatoumata SOUMAORO, Ă©pouse de LancĂ©ĂŻ CONDE, mère de cinq enfants dont quatre fille, rĂ©sidant au quartier Bohma a Ă©tĂ© transportĂ©e d’urgence Ă  l’hĂ´pital principal de NzerekorĂ©, blessĂ©e Ă  la tĂŞte par balle ainsi que son bĂ©bĂ© d’une annĂ©e qu’elle portait au dos.

De Mamoudou et de Kadiatou CONDE, cette ménagère se trouvait dans un état difficile au moment où nous voulions lui parler au téléphone. Une infirmière de l’hôpital qui a requis l’anonymat a confirmé que la dame a été blessée par balle.

 

Après examen de tous les dossiers relatifs à ce malheureux épisode de la vie sociale de Nzerekoré, nous avons pu nous faire la conviction suivant laquelle, des causes plus profondes pourraient être prises en compte pour mieux cerner toutes les dimensions du conflit.

CAUSES PROFONDES OU LOINTAINES DU CONFLIT

1-LES SEQUELLES DU CONFLIT DES ANNEES 90 :

En 1990, après l’adoption de la loi fondamentale instituant le multipartisme en GuinĂ©e, une reforme engagĂ©e par le gouvernement du gĂ©nĂ©ral Lansana CONTE, devait aboutir Ă  la suppression des sous-prĂ©fectures au profit des communes urbaines : les sous-prĂ©fets nommĂ©s devaient ĂŞtre remplacĂ©s par des maires Ă©lus au suffrage universel. Il faut noter qu’à Conakry, les sous-prĂ©fets sortants n’ont pas Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă  se prĂ©senter aux Ă©lections communales. A NzĂ©rĂ©korĂ©, le sous-prĂ©fet Ibrahima Khalil KEITA, se porte candidat et selon lui, un message serait passĂ© Ă  la radio pour informer que les sous-prĂ©fets pouvaient dĂ©sormais se prĂ©senter comme candidat. Cette version des faits a Ă©tĂ© confirmĂ©e par le ministre de l’intĂ©rieur de l’époque, docteur Allassane CONDE qui dit : Â« Ibrahima Khalil avait bien le droit de se prĂ©senter et sa candidature respectait les normes lĂ©gales en vigueur. Â».

Entre mars et avril 2009, le gĂ©nĂ©ral Lansana CONTE est venu Ă  NzĂ©rĂ©korĂ© oĂą il a annoncĂ© « qu’on ne peut pas prĂ©tendre ĂŞtre maire lĂ  oĂą on n’est pas autochtone. Â» ; ainsi donc, la candidature de Ibrahima Khalil fut annulĂ©e le 04 juin 1990, c’est-Ă -dire cinq (05) jours avant le scrutin. A ce propos, un responsable de la sociĂ©tĂ© civile de la rĂ©gion affirme : Â« ces propos ont sonnĂ© le glas de la cohabitation pacifique entre les communautĂ©s malinkĂ©s et guerzĂ©s dans la rĂ©gion. C’est le dĂ©but de l’intolĂ©rance et du repli identitaire Ă  Nzerekore. Â» ; InterrogĂ© sur la question, le ministre de l’intĂ©rieur d’alors confirme : Â«  La candidature de Ibrahima Khalil a Ă©tĂ© annulĂ©e pour des raisons de positionnement politique et d’ailleurs, il n’y a pas eu d’acte administratif car c’est moi qui devait en prendre et je ne l’ai pas fait parce qu’il ne se justifiait nullement. L’annulation a Ă©tĂ© verbale et le principal intĂ©ressĂ© s’y est soumis pour Ă©viter d’être la cause de violences politique et j’ai saluĂ© son courage Ă  l’époque. L’autochtone qui l’a remplacĂ© sur la liste des candidats a d’ailleurs Ă©tĂ© Ă©gorgĂ© par les populations locales. Â».

Les élections tenues donc comme prévu le dimanche 09 juin 1990 a consacré la victoire de Michel GUELY, le candidat potentiel originaire de la région. Des scènes de joie éclatent et tournent à l’affrontement entre ceux qui étaient mécontents de l’annulation de la participation de leur candidat et ceux dont le candidat avait été élu. Demba KEITA fut alors poignardé et l’auteur est immédiatement mis aux arrêts par la police militaire et détenu au commissariat.

Des manifestants rĂ©clament sa libĂ©ration et Djibril BANGOURA, chef de la sĂ»retĂ© ordonne sa mise en libertĂ© immĂ©diate ; le commissaire obtempère et les proches de Demba dĂ©cident de se faire justice Ă  eux-mĂŞmes et le domicile de nouveau maire est incendiĂ©. De violents affrontements s’en suivirent pendant plusieurs jours Ă  NzĂ©rĂ©korĂ© et environs.

 Le bilan est lourd, plus d’un millier de vies humaines sont dĂ©truites et autant de blessĂ©s et des dĂ©gâts matĂ©riels inestimables.

 

CONCLUSION PARTIELLE 1 :

Ces affrontements ont eu pour consĂ©quence de diviser les populations de la rĂ©gion sur des bases ethniques et religieuses ; ainsi, la sociĂ©tĂ© de cette rĂ©gion s’est retrouvĂ©e avec le groupe mandingue (malinkĂ©s, konias, toma manias) qui ont en commun l’usage de la langue et les « autochtones Â», principalement les guerzĂ©s. C’était le but recherchĂ© par le gĂ©nĂ©ral PrĂ©sident Lansana CONTE qui avait besoin de cette division pour Ă©viter la mainmise de son opposition politique sur la rĂ©gion car, cette rĂ©gion voisine du LibĂ©ria en guerre (depuis dix ans Ă  l’époque) Ă©tait stratĂ©gique pour la stabilitĂ© du pays.

Aussi, nous remarquons que malgrĂ© cette ethno stratĂ©gie du pouvoir, on aurait pu Ă©viter le pire si la justice du pays fonctionnait correctement ; autrement dit, si l’autoritĂ© politico administrative n’avait pas ordonnĂ© la libĂ©ration de celui qui a fait usage de l’arme blanche contre son camarade pour rĂ©gler une divergence politique. Si, la justice avait jouĂ© son rĂ´le, la famille de Demba n’aurait pas recours Ă  la vengeance pour se faire justice Ă  elle-mĂŞme, et si celle-ci s’était rĂ©fĂ©rĂ©e Ă  la justice, on n’aurait pas dĂ©comptĂ© plus d’un millier de morts dans les deux camps. Et après ces douloureux Ă©vènements, les blessures seraient guĂ©ries si l’Etat avait tirĂ© les leçons du passĂ© pour faire fonctionner correctement la justice en consacrant l’indĂ©pendance des magistrats. Puisque rien n’a Ă©tĂ© fait pour corriger les dĂ©faillances de la justice, les sĂ©quelles sont restĂ©es, la mĂ©fiance est nĂ©e entre les communautĂ©s et la peur de l’autre est devenue la règle fondamentale des relations sociales dans la rĂ©gion. Vingt ans après donc, les vieux dĂ©mons de la haine, de l’intolĂ©rance et de la violence ont refait surface pour faire dĂ©gĂ©nĂ©rer un conflit opposant deux individus en affrontements meurtriers entre communautĂ©s. Ceci est une preuve Ă©vidente du fait regrettable que les dirigeants guinĂ©ens ont toujours entretenu les dysfonctionnements du système judiciaire pour en tirer des bĂ©nĂ©fices politiques.

 

2- LA DIMENSION ECONOMIQUE ET CULTURELLE DU CONFLIT

NzĂ©rĂ©korĂ© est la principale ville de la GuinĂ©e forestière ; elle est situĂ©e Ă  mille (1000) km de Conakry la capitale ; et l’ethnie guerzĂ©s en est l’ethnie autochtone. Les guerzĂ©s se sentent envahis par ceux qu’ils considèrent comme Ă©trangers, c’est-Ă -dire les guinĂ©ens originaires d’autres rĂ©gions du pays. Il faut dire que l’essentiel des activitĂ©s Ă©conomiques et politiques Ă©chappent au contrĂ´le des autochtones qui sont pour la plupart des agriculteurs sans moyens et pratiquement sans assistance ; ils sont numĂ©riquement dominĂ©s par les autres qui leur ont imposĂ© leur langue (le malinkĂ© est la langue de commerce en GuinĂ©e forestière).

Un autre fait très important est que les forestiers d’origine sont chrĂ©tiens ou animistes pour l’essentiel, mais l’islam reste la religion dominante de la rĂ©gion. Il faut reconnaĂ®tre que l’Islam est moins tolĂ©rante avec les pratiques animistes auxquelles les guerzĂ©s sont très attachĂ©s ; les sermons contre les fĂ©tiches, la consommation d’animaux non Ă©gorgĂ©s selon les rites musulmans, notamment la consommation des animaux comme le porc sont constamment dĂ©noncĂ©s dans les mosquĂ©es et tendent Ă  rabaisser les non musulmans qui, de fait sont de guerzĂ©s, au rang d’êtres infĂ©rieurs ou de citoyens mĂ©prisable. Les familles musulmanes n’acceptent pas de voir leurs filles avec des non musulmans tandis que leurs fils ont accès aux filles non musulmanes. Les Ă©lĂ©ments de culture de la forĂŞt, basĂ©s sur des pratiques non musulmanes sont sĂ©rieusement menacĂ©s. Ces agissements rĂ©duisent les originaires de la forĂŞt Ă  des citoyens de seconde zone dans leur propre pays et cela crĂ©e une frustration qui les rĂ©volte. Aujourd’hui, les guerzĂ©s tentent d’affirmer leur hĂ©gĂ©monie ainsi celle de leur culture sur la rĂ©gion de NzĂ©rĂ©korĂ© et ils usent parfois de la violence pour exprimer leur rejet de ce qui leur paraĂ®t ĂŞtre une nĂ©gation.  Et tant que les musulmans ne feront pas preuve de plus de tolĂ©rance Ă  l’endroit des autres religions de la forĂŞt, ce besoin d’estime va toujours conduire les non musulmans Ă  revendiquer leur droit de culte et, puisque la justice demeure identique Ă  elle-mĂŞme, les revendications se feront dans le sang.

 

CONCLUSION PARTIELLE 2 :

La tolérance et l’acceptation de l’autre dans le respect de la différence demeure l’option de la cohabitation pacifique en région forestière. L’islam ne doit plus constituer une menace pour les religions et même la culture des autochtones en Guinée forestière. Les guerzés ont été poussés dans un repli identitaire qui les met constamment sur la défensive et les tient prêts à user de la violence pour faire face à tout ce qui apparaîtra à leurs yeux comme une menace pour ce qu’ils considèrent aujourd’hui comme une question de vie ou de mort.

Il est clair aujourd’hui qu’une voie intermédiaire mérite d’être définie par les dignitaires musulmans pour faire de la Guinée forestière, une région d’exception dont la stabilité dépend en partie de la reconnaissance de leur choix religieux et le respect de ce choix. Tant que les originaires de la forêt continueront d’être stigmatisés dans leurs pratiques religieuses et culturelles, tant qu’ils se sentiront assimilés à des sauvages, ils donneront leur vie et en détruiront pour faire prévaloir leur droit à la dignité, à la considération et à l’estime, ne serait-ce que sur la terre de leurs ancêtres, et ce sans être obligés de renier leur identité.

Nous suggérons alors que soit organisé un débat national pour délimiter les frontières au-delà desquelles tout religieux sera redevable devant la justice. La culture de la stigmatisation, de la diabolisation et de la peur de l’autre doit disparaître des sermons religieux dans les mosquées et les lieux publics.

 

3-LA DISQUALIFICATION DU CAPITAINE MOUSSA DADIS CAMARA, CHEF DE LA JUNTE GUINEENNE

 

CONCLUSION GENERALE :

 

Le manque d’indĂ©pendance de la justice a crĂ©Ă© chez les guinĂ©ens un sentiment de vide qu’il faut combler par la violence ; la loi de la jungle est perçue en GuinĂ©e comme le seul moyen de se protĂ©ger contre les injustices.

Si les guinĂ©ens avaient confiance en leur système judiciaire, ils y auraient eu recours et c’est certains que les musulmans se seraient soumis Ă  la dĂ©cision de justice ; si les jeunes ont contestĂ© la dĂ©cision de contrĂ´ler le pĂ©rimètre de la prière Ă  l’aide d’une corde par les autoritĂ©s militaro-politique, c’est parce qu’ils ont perçu la dĂ©cision comme arbitraire, parce non prise Ă  la suite d’un procès contradictoire qui auraient mis chacun devant ses responsabilitĂ©s dans la plus grande transparence. Encore le manque de justice faute Ă  la non indĂ©pendance des magistrats.

Les affrontements ont cessé grâce à la médiation menée par l’équipe déléguée par le Président par intérim et dirigée par Bouréma CONDE, ministre sortant de l’agriculture et ancien gouverneur de Nzérékoré redevenu depuis cette semaine, gouverneur de Nzérékoré. C’est une paix très précaire car les circonstances qui ont réveillé les vieux démons du mal existent encore et le capitaine Dadis reste à Ouagadougou sous la menace d’une inculpation par la cour pénale internationale suite à ses responsabilités dans les massacres du 28 septembre.

Nous sommes certains que dans les semaines ou les mois à venir, des nouveaux affrontements plus sanglants et inimaginablement meurtriers sont à prévoir.

Il est à signaler que si la région de Nzérékoré n’est pas pacifiée, elle pourrait constituer une épine dans les pieds de la transition. Nous serons surpris d’aller à des élections libres et apaisées dans ces conditions, où même à des élections tout court. D’autres prétextes seront rapidement trouvés pour justifier des troubles pouvant entraver la marche déjà très pénible du peuple de Guinée vers des élections libres et apaisées dans les meilleurs délais.

 

RECOMMANDATIONS:

 

1-       la crĂ©ation d’un cadre de dialogue regroupant la sociĂ©tĂ© civile, les sages, les religieux, les jeunes y compris l’Association Saint Robert (ASARO) qui est un Ă©lĂ©ment essentiel de la recherche d’une paix durable dans la rĂ©gion, les femmes, les mĂ©dias, les forces de dĂ©fense et de sĂ©curitĂ© tel que celui qu’elle a organisĂ© en juillet 2009 Ă  NzĂ©rĂ©korĂ© et dans toutes les rĂ©gions administratives du pays ;

2-       Financer les projets d’assistance judiciaire et juridique pour redonner confiance aux populations quand Ă  la possibilitĂ© d’obtenir un procès juste et Ă©quitable sans distinction aucune et quelque soit son rang social ;

3-       Tout mettre en Ĺ“uvre pour que la COUR PENALE INTERNATIONALE prenne ses responsabilitĂ©s dans les massacres du 28 septembre afin de faire comprendre aux dirigeants guinĂ©ens qu’ils ne peuvent disposer impunĂ©ment du droit Ă  vie et de mort sur leurs populations.

4-       AccĂ©lĂ©rer la mise en place du bureau des Nations-unies pour les Droits de l’Homme en GuinĂ©e et faciliter la mise en place rapide du Plan d’Action National contre le racisme, la xĂ©nophobie et l’intolĂ©rance tel que prĂ©conisĂ© dans la recommandation finale du sĂ©minaire sous-rĂ©gional tenu Ă  LomĂ© au Togo du 07 au 10 dĂ©cembre 2010.

5-       Appuyer la RADDHO-GuinĂ©e pour la formation d’au moins cinq observateurs locaux pour permettre Ă  la population de s’approprier les Ă©lections et d’être juge pour ne pas se faire instrumentaliser après les Ă©lections pour avoir un poste de premier ministre ;

6-       La communautĂ© des bailleurs de fonds ne devra financer le gouvernement guinĂ©en que pour des actions entrant dans la prĂ©paration des Ă©lections et conditionner ces aides l’organisation des Ă©lections dans les dĂ©lais requis car rien ne peut justifier que la GuinĂ©e ne puisse pas aller Ă  des Ă©lections crĂ©dibles avant six mois.

7-       Les Ă©lections dans un dĂ©lai de six mois devra ĂŞtre la prĂ©occupation majeure du gouvernement, de la communautĂ© nationale et internationale ; mĂŞme en cas de trouble n’affectant pas la moitiĂ© du territoire nationale, le pays doit pouvoir se doter d’institutions lĂ©gitimes Ă©lues car les Ă©lections demeurent la condition sine qua non d’une rĂ©forme rĂ©ussie et durable des armĂ©es et du système judiciaire qui, elle-mĂŞme constitue la condition de la stabilitĂ© nĂ©cessaire Ă  la rupture d’avec les pratiques rĂ©pugnantes d’impunitĂ© et de violations rĂ©pĂ©tĂ©es des droits humains plusieurs fois rĂ©clamĂ©e dans le sang par le vaillant peuple de GuinĂ©e.

 

             Fait Ă  Conakry, le 18 fĂ©vrier 2010

 

LE PRESIDENT, RADDHO- GuinĂ©e,  MAMADI KABA

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