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Les révélations de Me Abass Bangoura, démissionnaire de la CENI

Jul 07, 2010

Mardi, 06 juillet 2010. Suite à sa démission de la CENI , Me Fodé Abass Bangoura a animé une conférence de presse à la Maison de la presse sise à Coléah. Il était membre de la CENI en tant que représentant du Barreau et assumait les fonctions de Conseiller juridique de l’institution.

Dans une déclaration remise à la presse, Me Abass écrit avoir décidé de démissionner de ses fonctions de Conseiller juridique de la CENI « pour protester contre les malversations électorales dont se sont rendus coupables certains responsables de la CENI ». Et qu’en sa qualité d’auxiliaire de la justice, son serment l’oblige à ne pas cautionner de telles manipulations électorales au risque de trahir sa nation. Il conclut cette déclaration par un appel « à la qualité exceptionnelle de légaliste chevronné » du Président de la Cour suprême pour « dire le droit comme il a toujours fait pour sauver la République et la Nation Guinéenne , d’une crise ingérable ».

La conférence de presse a été l’occasion pour les journalistes d’avoir d’amples informations sur d’autres aspects liés à l’actualité électorale.

Répondant aux nombreuses questions, le démissionnaire commence par dénoncer « l’ordonnance qui a renforcé les prérogatives de la CENI » du temps du Président Moussa Dadis Camara ».

Pour Me Fodé Abass Bangoura, s’il y a eu trop de supputations, « c’est que le Président de la CENI , Ben Sékou Sylla nous faisait croire à tout moment qu’il est sollicité par le Président de la République au point que je ai fait la remarque que cela pourrait entamer la crédibilité du travail de notre institution. » D’où cette autre précision par rapport à ce qu’il qualifiait de « pressions extérieures » : « Moi, j’ai parlé de pressions extérieures. Je vous avoue qu’il y en a eu. Il y avait des menaces; mais moi, j’ai toujours dit au Président de la CENI que notre mission, c’est de faire l’application des dispositions du code électoral. Et que tant que nous serons collés aux textes, il n’y aura pas de problèmes. C’et lui qui nous faisait comprendre à chaque fois, « on m’appelle », « le Président m’appelle » Et finalement, je lui ai dit : écoutez Monsieur le Président, soyez responsable car, son attitude nous paraissait bizarre. Les décisions d’une institution comme la CENI doivent être consensuelles. Je ne sais donc pas pourquoi il nous a quittés le vendredi [ndlr : 2 juin] à 16 heures, en disant que « … moi, le Président m’appelle ». Vrai ou faux… »

C’est plus tard, que j’ai appris comme tout le monde qu’il était dans la salle de proclamation des résultats. Moi, je ne peux pas expliquer une pareille attitude. C’est à lui d’expliquer de quel genre de pression il s’agissait. En tout cas, c’est lui qui nous faisait croire à tout moment que le Président de la République l’appelait. Et chaque fois, je l’ai invité à venir travailler car le plus important est de travailler»
Y a-t-il eu des pressions venant de Paris, notamment de Bernard Kouchner ou du Général Sékouba Konaté, au profit d’un candidat ? Me Abass répond : « Pour le cas de Bernard Kouchner, je ne peux le dire parce que je suis sous serment, je ne peux pas mentir. Pour le cas du général Sékouba, je ne peux pas le dire non plus. Mais le Président de la CENI faisait croire à chaque fois : « je vous quitte, le Président m’appelle » Voilà. J’ai ainsi déduit, à travers son comportement, que c’est quelqu’un qui ne devait pas être libre et qu’il avait une pression sur lui. Ça au moins, personne ne peut le nier. »

Notifiant à Me Abass la gravité de certaines de ses affirmations, il lui a été rappelé qu’il est un avocat et que celui qui porte une accusation doit en donner les preuves. Ainsi, lui a-t-il été demandé d’être plus précis sur deux faits : y a-t-il des preuves concrètes que c’est effectivement le Président de la République qui appelait chaque fois le Président de la CENI ? Est-ce le général Konaté qui aurait donné les instructions de modifier les résultats sortis des urnes ?

Me Abass : « écoutez, moi je pense que le problème, c’est parce que je respecte mon serment que j’ai démissionné. Vous venez de dire que le Ministre Secrétaire général de la Présidence a dit à la télé hier [ndlr : 05 juillet 2010], que le Président de la CENI s’était effectivement rendu à la Présidence. Moi , je n’y étais pas. C’est lui, Ben Sékou qui nous faisait croire chaque fois, qu’il était appelé à la Présidence. Mes collègues de la CENI sont témoins. Il a dit, en nous quittant, « je vais présenter les résultats du vote au Président de la République ». Je lui ai dit « vous n’en avez pas besoin pour l’instant. Pour le moment il faut partager ces résultats avec les membres de la CENI pour un consensus… La pression extérieure ne veut pas dire toujours que c’est le général. Même les citoyens, il y avait des pressions. Les partis politiques, les gens nous menaçaient. »

Il estime que le Président de la CENI n’a pas voulu prendre ses responsabilités. Et estimant que la loi a été violée, il a préféré rendre le tablier. Selon Me Bangoura, le Président de la CENI a reconnu lui-même qu’il y a eu des procès verbaux qui n’ont pas été signés par ceux-là habilités à le faire. Cependant il les a pris en compte en disant que le rôle de la CENI se limitait à la collecte, à recevoir les procès verbaux et à la transmission des résultats à la Cour suprême : « je dis non. Nous sommes là pour veiller à l’application de la loi électorale…».

Sur les cas de bourrages d’urnes par fraude, le commissaire démissionnaire raconte : « La question ne se pose pas. J’ai les preuves parce que j’ai supervisé Dixinn. J’ai des preuves. J’ai des preuves. D’ailleurs, vous avez dû suivre les instants qui ont suivi ma démission le samedi. On a retrouvé des urnes dans certains endroits. Et ça, ce n’est pas moi qui ai inventé cela. Et puis attention, prenons Ratoma où le PV n’a pas été signé par le magistrat qui y a été délégué car ayant été menacé et sommé de quitter les lieux ; Matoto où 100 et quelque procès verbaux ont été annulés tout simplement par ce que la machine n’a pas validé alors que le Code électoral ne fait nullement référence au cas des machines. Je vous renvoie au Code. La machine, c’est pour nous faciliter le travail. »

Et de faire une confidence : « celui qui a été envoyé à Matoto n’est pas membre de la CENI. Je veux parler de Cheick Fantamady Condé qui a coordonné Matoto. Un décret « abrogeant toutes dispositions antérieures » l’avait envoyé comme Chef de cabinet au ministère de la défense nationale. Par la suite, il a été nommé ministre de l’information. Quand il a été limogé, il est retourné à la CENI , pour dire : « je suis revenu ». Or les différents décrets abrogeaient les précédents. Donc, il n’avait désormais aucune qualité de membre de la CENI. Et je vous dis, ce qu’il a fait à Matoto n’était pas catholique. Encore une fois, un procès verbal qui n’est pas signé, n’en est pas un. Il n’a aucune valeur juridique.»

D’autre part, Me Abass estime que « si aujourd’hui la CENI est accusée d’avoir communiqué des résultats truqués, cela dépend du comportement du Président Ben Sékou dont j’étais, je ne vous le cache pas, l’un des très proches collaborateurs et le conseiller juridique. Et à chaque fois qu’il y avait des questions juridiques, il me faisait appel et tout en diversifiant les consultations. »

Sur la nécessité ou non de valider les résultats provisoires par la Cour suprême, Me Fodé Abass Bangoura estime que « … annuler ce qui a été fait, c’est trop dire. Mais, moi je pense que si la CENI avait correctement fait son travail, on allait filtrer. Et aujourd’hui, la Cour suprême n’allait pas avoir tout ce boulot parce que c’est à nous, de faire notre travail mais nous avons démissionné en responsabilisant la Cour suprême. Or, le Code électoral est très clair. La CENI a sa mission et la Cour suprême a la sienne. Je ne vois pas pourquoi nous, nous n’avons pas joué notre rôle. Quelque part, moi, j’ai estimé que c’est une démission. N’ayons pas peur des mots.»

Sur les tractations au niveau de la CENI , entre 2h et 5h du matin dans la nuit du jeudi au vendredi, pour favoriser un des candidats, le démissionnaire répond : « Bon, dire qu’à des heures tardives de la nuit, il y a eu des tractations, moi, je ne suis pas témoin de cela, donc je ne peux pas l’affirmer. »

Sur la présence d’un informaticien de l’OIF pour manipuler les chiffres, l’avocat à la cour reconnaît : « Ce qui est sûr, concernant l’informaticien, tous les techniciens s’en sont plaints. L’informaticien en question est béninois. En ce qui concerne la manipulation des chiffres, tous les techniciens se sont plaints en disant mais il y a quelque chose qui ne va pas. Parce qu’à chaque fois, des résultats étaient invalidés même s’ils sont bons. Il les empêchait même de travailler. J’ai attiré l’attention du Président de la CENI qui m’a dit avoir pris des dispositions. Il a convoqué cet informaticien pour lui signifier qu’il n’avait pas à invalider un chiffre ou à empêcher un technicien de travailler. Qu’il devait valider les données qui lui sont communiquées si elles sont correctes. »

Toutefois, Me Abass ajoute aussi ne pas savoir qui manipulait les chiffres, mais il affirme avoir alerté le Président de la CENI en citant comme témoin M. Telly Touré, membre de la CENI ainsi que d’autres commissaires de la CENI. - AfricaLog

 

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