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La "République autonome du Golf (RAG)"

Dec 10, 2010

Chars de l'ONU postés devant l'entrée, foule bigarrée à l'intérieur allant du simple militant au ministre en vue: bienvenue au "Golf hôtel" d'Abidjan où règne Alassane Ouattara, président proclamé en quête de présidence.

"C'est la sécurité, ouvrez le coffre arrière de votre véhicule, s'il vous plaît": casquette vissée sur la tête, chemise rouge et noire, des "volontaires" du parti de M. Ouattara fouillent les véhicules à l'entrée du parking. Une dizaine de Casques bleus jordaniens les observent, dont deux sont debout sur un char au canon pointé en direction du terrain de golf.

Une dame tente de se soustraire au contrôle, on la stoppe aussitôt mais un bref coup d'oeil de l'agent dans son sac à main lui permet de se retrouver dans le hall de l'immense cinq étoiles.

Tandis que son rival Laurent Gbagbo siège au palais présidentiel, veillé par la Garde républicaine, c'est dans cet hôtel en bord de lagune qu'Alassane Ouattara, reconnu par la communauté internationale, a établi ses quartiers avant même la présidentielle du 28 novembre aux résultats controversés.

Une foule de sympathisants anonymes se mêle à des visages connus, de dirigeants de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) - dont le chef Guillaume Soro a été nommé Premier ministre par M. Ouattara - ou de ministres nommés par l'ex-opposant.

"Un mélange de cour des miracles, de ruche bourdonnante et de Versailles rempli de courtisans", glisse un diplomate qui fait à l'occasion un crochet par le "Golf".

"Je viens ici tous les jours pour montrer à mon président que sa victoire est réelle", explique Siaka Diomandé, 29 ans, assis en compagnie de trois autres militants.

Alors que M. Gbagbo a formé son propre cabinet en début de semaine, Cissé Vakaba, 47 ans, cadre au ministère des Nouvelles technologies de l'information et de la communication, est catégorique: "l'autre, ce n'est pas le vrai gouvernement".

M. Ouattara a déménagé de sa villa cossue, pourtant située à une centaine de mètres seulement de l'hôtel, pour installer ici son QG, sous la garde des Casques bleus et d'hommes des FN.
Il y accorde ses "audiences" de chef de l'Etat, au représentant spécial de l'ONU dans le pays Choi Young-jin, aux ambassadeurs ou encore au médiateur de l'Union africaine Thabo Mbeki, de passage le week-end dernier.

Conciliabules improvisés entre gens importants dans l'ombre des couloirs, discussions serrées sur un projet de décret dans une salle de réunion, conseil des ministres au fond du jardin planté d'immenses palmiers: c'est là que tous ceux qui comptent dans le camp Ouattara doivent être vus.

Un responsable du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) de l'ex-président Henri Konan Bédié, allié à Alassane Ouattara, préfère pourtant y venir "assez rarement". "Beaucoup de cadres PDCI tournent dans les couloirs en quête d'un poste, je ne veux pas qu'on me prenne pour l'un d'eux", épingle-t-il.

Dans le grand jardin, quelques éléments des FN, sanglés dans des treillis impeccables, vont et viennent, téléphone portable collé à l'oreille. Quelques jeunes filles les regardent avec intérêt.

Plus loin, des Casques bleus pakistanais se photographient à tour de rôle près de la piscine, en souvenir de la "République autonome du Golf (RAG)", comme l'ont déjà baptisée les Abidjanais.

Chronique du naufrage ivoirien

Retour en quelques dates sur la descente aux enfers politique de l'ancienne locomotive de l'Afrique de l'Ouest.

Comment la Côte d'Ivoire a-t-elle pu sombrer dans un tel chaos? Quand la confusion, le manichéisme et les anathèmes escamotent le passé et obscurcissent l'horizon, il peut être salutaire de relire les temps forts de l'histoire récente. Ces repères balisent la descente aux enfers politique du "pays d'Houphouët", naguère locomotive de l'Afrique de l'Ouest et pionnier jalousé de la modernité postcoloniale. Ils éclairent aussi les trajectoires desacteurs d'un navrant gâchis.

Décembre 1993

A la mort de Félix Houphouët-Boigny, seul maître à bord depuis l'indépendance, le président de l'Assemblée nationale, Henri Konan Bédié (HKB),et le Premier ministreAlassane Dramane Ouattara (ADO), musulman dioula du Nord, se disputent la succession. Conformément à la Constitution, le premier l'emporte.

Octobre 1995

Le Baoulé Bédié est élu à la faveur d'un scrutin présidentiel boycotté par Ouattara comme par l'opposant Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI). Les deux absents sont alors alliés au sein d'un "Front républicain".

Décembre 1999

Une mutinerie chasse HKB et porte au pouvoir le général putschiste Robert Gueï.

Octobre 2000

Au terme d'une élection que lui-même qualifie de "calamiteuse", et dont ADO est écarté pour "nationalité douteuse", Gbagbo supplante Gueï et accède au pouvoir.

Septembre 2002

Une rébellion armée venue du Nord musulman tente vainement de déloger le chef d'Etat élu, mais prend le contrôle des deux tiers nord du pays. La Côte d'Ivoire est coupée en deux.

Novembre 2004

L'armée régulière tente de reconquérir le territoire perdu. Un raid loyaliste sur Bouaké, fief des insurgés, coûte la vie à neuf soldats français du dispositif d'interposition Licorne. En représailles, Jacques Chirac ordonne la destruction de l'aviation ivoirienne. A Abidjan, au plus fort d'une vague de manifestations francophobes, une cinquantaine d'Ivoiriens périssent sous les balles des soldats de Licorne.

Mai 2005

Quelques mois avant le terme duquinquennat de Gbagbo, HKB et ADO, jusqu'alors rivaux acharnés, scellent sous la bannière du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) une alliance de circonstance.

4 mars 2007

Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, le chef politique de la rébellion, signent à Ouagadougou (Burkina Faso) un accord de paix au terme duquel le second devient le chef de gouvernement du premier.

31 octobre 2010

Premier tour d'une élection reportée à six reprises depuis 2005. Le sortant Gbagbo (38%) devance Ouattara (32%) et Bédié (25%). Ce dernier appelle ses électeurs à voter ADC lors du ballottage, fixé au 27 novembre.

La suite est connue. L'avenir reste indéchiffrable...

La communauté ivoirienne en France divisée

A des milliers de kilomètres de la Côte d'Ivoire qui se déchire, les Ivoiriens en France suivent de près la situation. Partagés entre les deux prétendants au pouvoir, ils sont surtout inquiets.

«On ne parle pas de politique ici». Une pancarte placardée sur une superette de produits alimentaires ivoiriens du 18è arrondissement de Paris, donne le ton. Dans ce quartier, qui abrite une forte communauté africaine, il est difficile au premier abord de parler du sujet qui fâche : la situation en Côte d'Ivoire, écartelée entre deux prétendants au pouvoir.

Comme la population de leur pays, les Ivoiriens du quartier parisien Marcadet-Poissonniers sont divisés en deux camps: les pro Ouattara et les pro Gbagbo. «Le contexte est très délicat. On va vers une guerre civile si la communauté internationale n'intervient pas», ose Abouo, un Ivoirien arrivé en France il y a quinze ans, qui ne cache pas son soutien à Alassane Ouattara. Sous le regard gêné des clients de la boutique, sa prise de position fait réagir. «Il faut chasser Gbagbo», acquiesce une dame qui refusait de s'exprimer quelques minutes auparavant. «Il faut respecter les urnes», lance un vendeur.

«Les médias prennent trop parti!»

Peu à peu, les langues se délient. Certains Ivoiriens préfèrent toutefois garder l'anonymat. C'est le cas de cette femme, caissière dans cette boutique de produits importés d'Abidjan, dont le «cœur» penche pour Gbagbo. «Alassane n'est pas Ivoirien c'est un Burkinabé. C'est un rebelle et un sauvage dont la milice a tué en Côte d'Ivoire. Que la France se mêle de ses affaires et laisse les Ivoiriens désigner leur président», vocifère-t-elle. Un client ivoirien s'interpose et demande que Sarkozy ne «s'ingère pas dans les affaires» de son pays. Oumena, serveuse dans un restaurant ivoirien, aborde le sujet franchement. Elle fustige la couverture des élections par les médias français. «BFM et I-Télé ont donné les résultats avant qu'ils soient connus en Côte d'Ivoire. Les médias ici prennent parti de façon trop flagrante pour Ouattara», affirme-t-elle.

«On a peur pour nos familles»

Dans d'autres endroits, comme ce café du 10è arrondissement, les esprits s'échauffent à l'évocation du sujet. Bdhi Adam, agent de sécurité attablé avec une dizaine de compatriotes, regrette la tournure qu'ont prise les élections. «Gbagbo ne lâchera pas le pouvoir car il craint d'être poursuivi par le Tribunal pénal international pour les exactions qu'il a commises», explique-t-il vigoureusement. «Son discours est haineux», renchérit Monsieur Coulibali. Un Camerounais tente de donner un point de vue contradictoire dans le brouhaha ambiant, mais les Ivoiriens ne veulent pas de confrontation sur «leur» sujet. Le ton monte et le patron doit intervenir pour calmer le jeu. En vain. C'est à sa demande que la discussion se terminera finalement dehors. Parfois les mots sont encore plus virulents . Le responsable d'un salon de coiffure africaine regrette de ne pas être à Abidjan pour «prendre les armes», assure-t-il en brandissant un tee-shirt d'ADO, le surnom donné à Alassane Ouattara.
Mais ces positions parfois dures cachent souvent l'inquiétude de la communauté ivoirienne pour leurs proches restés au pays. Landry, qui a pu joindre sa famille par téléphone à Abidjan, redoute «un coup d'Etat qui entraînerait le chaos». «Tout est verrouillé à Abidjan. Le couvre-feu a été décrété et la population espère une issue rapide du conflit», assure ce jeune juriste ivoirien. «Les gens pourraient en venir à s'entretuer là-bas. On a peur pour nos familles», résume Monsieur Comara. - AfricaLog avec agence
 

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