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Moussa Dadis Camara: «J’ai été incompris»

Dec 22, 2010

Après sa convalescence découlant de son assassinat manqué, Moussa Dadis Camara ne s’était pas encore exprimé sur les raisons de l’acte de son aide-de-camp. Le dimanche 19 décembre 2010, l’ancien Président Guinéen était l’invité de l’émission ‘’La Grande interview’’ de la chaîne malienne, ‘’Africable’’. Dans cette interview, le capitaine intendant de l’Armée guinéenne retrace le film de son passage à la tête de l’Etat guinéen. (Entretien)

L’on taxait vos décisions d’impopulaires. Partagez-vous cette position?

Les décisions que je prenais étaient dans l’intérêt du peuple guinéen. Mais, j’ai été mal compris. Je puis dire que ceux qui ne voulaient pas c’est parce que leur intérêt était touché. Ils ont transformé mon image.

Mais à votre niveau, rien n’a été fait pour vous blanchir. N’est-ce pas?

J’ai engagé des reformes. Des intérêts étant touchés, certains ont eu la possibilité de dire que maintenant le Président Dadis Camara va piétiner nos intérêts. Ils ont donné une autre image. Moi, je l’ai fait dans le sens du patriotisme.

Avez-vous des regrets d’avoir voulu engager votre pays et partant toute l’Afrique sur une autre voie, celle de la liberté et de l’indépendance?

Oui ! Si j’ai des regrets c’est parce que comme vous venez de poser la question, j’ai été incompris par beaucoup de gens. Ça renferme tout. J’ai préféré aider mon pays avec des très bons rapports avec des investisseurs privés et des puissances. Et même quand je parlais de gagnant-gagnant, il y a la transparence. Et si vous remarquez, je crois que cela été diffusé sur votre chaîne de télévision, 22 millions de dollars la paie du pouvoir que j’ai exigés pour le compte de l’Etat. Cette somme était destinée pour résoudre des problèmes parce que c’était un nouveau régime. Je crois que tous ces aspects montrent que j’ai été incompris des gens. Parce que si je n’étais pas positif, je pouvais prendre ces 22 millions de dollars. Mais, ce n’est pas dans ma nature.

Revenons à la déclaration de Ouaga adopté en janvier 2010 qui a relancé le processus de sortie de crise en Guinée. Pensez-vous que cet accord a été respecté à la lettre par votre frère d’arme le Général Sékouba Konaté?

Il faut être clair. Tout le contenu n’a pas été respecté. Il est question devant le Président Blaise Compaoré qui était le facilitateur, que toutes les prises de décision qui se feraient que je puisse en être informé. Pour que je puisse être consulté afin de donner mon avis. Et bien entendu que le Président Blaise soit comme mon conseiller. Cela n’a jamais vu le jour. J’ai gardé mon silence, mon calme. Je n’ai pas fait de cela un problème. Le côté matériel, le budget de souveraineté et j’en passe. Je le dis aujourd’hui, s’il y a quelqu’un qui sort satisfait, c’est moi. J’en suis le premier, sinon, le premier.
Malgré tout, votre pays est allé à la démocratie. Est-ce que vous ne regrettez pas de n’avoir pas été l’auteur de cette démocratie, vous qui avez suscité l’espoir dans votre pays comme à l’extérieur ?
Je dis que s’il y a quelqu’un qui soit satisfait, je suis le premier. Parce que l’avènement de cette démocratie, la prise du pouvoir et le destin m’a permis d’avoir l’insigne honneur de conduire à gérer les destinées de la Nation guinéenne.

On dit que c’est le Général Sékouba Konaté qui a pris le pouvoir le 23 décembre 2008 et il vous l’a remis. Qu’est-ce que vous en dites?

Mais, ce sont des aberrations. Le Président ATT (Ndlr : Amadou Toumani Touré) au Mali, quand il a eu des événements le 26 mars 1991, ce n’est pas un officier qui a donné le pouvoir au Président ATT. Ce sont son influence et sa personnalité au sein du camp de Para de Coroni qui lui ont valu ce poste de Président. Parce que l’aide-de-camp, Idriss Diallo du Président Moussa Traoré, on peut dire qu’il ne voulait pas le pouvoir. Mais, ce sont la personnalité, la formation militaire et morale, qui ont permis au Président ATT de prendre le pouvoir. Je me dis que c’est un exemple. Comment un capitaine parmi tant de généraux et de colonels, comment il peut se hisser à la tête de la Nation après la mort d’un Chef d’Etat ? Mais, c’est de la personnalité, c’est de la puissance. J’ai été un grand visionnaire.

Monsieur le Président dans votre cas, on sait que vous avez été un parachutiste. Vous n’avez pas de troupe. Comment un homme qui n’a pas de troupe peut-il prendre le pouvoir?

Je vais vous parler de certaines qualités humaines. Ce n’est pas forcément avoir des troupes. On peut avoir des troupes et être décrié. Ma chance, c’est que j’étais très généreux avec les militaires et même jusqu’à maintenant. Si vous demandez à tous les militaires qui m’ont connu, ils vous diront toujours que le Président Dadis est généreux. Je partageais leur peine. Ce qui faisait que toutes les mutineries qui se passaient, il n’y avait pas cet officier qui pouvait arrêter l’armée. Je suis le seul qui a arrête l’armée pour dire de ne pas faire de mal à Lassana Conté, et qui n’avait pas droit à l’humiliation. Aussi que son sang ne devait pas être versé. Les jeunes m’écoutaient. Ensuite, j’avais la qualité morale et intellectuelle.

Quel est l’état de vos relations avec le Général Sékouba Konaté ? Est-ce que vous êtes restés ami jusque-là?

Pendant les accords de Ouaga, les relations étaient sincères. C’est lui qui m’a poussé… Parce que je l’ai grandi devant tout le monde. Et même les différents voyages qu’il a effectués à l’étranger. C’est moi qui lui disait : « Va voir le président ATT, va chez le Président Blaise ». Même en France, c’est moi qui lui disait : « Il faut aller pour le moment, je ne peux pas quitter. Il y a beaucoup de choses qui peuvent arriver ». Jusque-là, dans les accords de Ouaga, c’est que tout le monde avait confiance, parce que dans l’exercice de mes fonctions, ils m’obéissaient énormément. C’est pourquoi en récompense, ils s’étaient rapprochés de moi. Et puisque tout homme est sensible au respect et tout cela m’a poussé effectivement à avoir confiance.

Est-ce que vous sentez une trahison dans cette prise de pouvoir?

S’il y a trahison, je crois que le peuple est bien placé pour le dire.
Sur une radio étrangère, un journaliste a dit qu’il tenu des propos en vous attaquant…
Effectivement, il l’a fait. En toute sincérité, pourquoi la population guinéenne tient à moi, c’est parce qu’elle voit en moi un homme honnête. Je ne connais pas le mensonge. J’ai un franc parlé. Je n’ai pas aussi de rancunes. Et je suis reconnaissant. Si vous le dites, c’était très vexant. Mais la population même a réagi. Et même sur les journaux et les sites : « Dadis, Sékouba : qui a peur de qui ? ». Mais, moi, je ne lui réponds pas.

La confiance était grande entre vous quand vous étiez au pouvoir?

Oui, la confiance était très grande et si ce n’est les propos qu’il a tenus, je peux dire que lui-même, il a entaché ces relations. Parce que je n’ai pas répondu et je ne vais jamais répondre.

Est-ce que vous êtes en communication ? Souvent est-ce qu’il vous appelle?

Vous-même vous savez quand quelqu’un tient des propos comme ça sur des antennes, il peut avoir le courage de vous appeler s’il reconnaît, peut-être s’il revient à la raison. Moi, je me suis imposé la sagesse. Je me suis mis au-dessus. Parce qu’un subordonné que j’ai géré pendant les événements, tu lui confies une mission aussi importe d’une Nation, s’il arrive à tenir des propos vexants, pour moi, mon éducation, ma formation morale et intellectuelle ne me permettent pas de réagir. Je tiens au respect. Je laisse les gens en juger.

Le journaliste a fait savoir que le Général Sékouba Konaté aurait dit cela mais, on ne l’a pas entendu dire vertement cela?

Le journaliste l’a bien dit. Mais, le peuple a bien réagi. Moi, je n’ai pas écouté ces propos. Mais, c’est une radio privé et j’ai plutôt entendu les réactions des auditeurs. Les gens étaient déçus. C’est pourquoi, je dis que je ne répondrai pas. Qu’il ait dit ou pas, moi, je ne répondrai pas. Ce qui est important, c’est le peuple.

Votre pays a amorcé la voie de la démocratie à travers une élection qui s’est déroulé le 7 novembre dernier et Alpha Condé est élu président de la Guinée. Loin de votre pays, quel est le regard que vous avez porté sur ce processus?

Je profite de l’occasion pour remercier le peuple guinéen, notamment les Guinéens de l’intérieur comme de la diaspora. Et en même temps, pour profiter pour remercier le facilitateur Blaise Compaoré. Qui s’est beaucoup impliquer, malgré ses lourdes charges, le pays a réussi effectivement à sortir de l’ornière. C’est-à-dire que les élections se sont déroulées dans les meilleures conditions. Le message que je puisse lancer au peuple de Guinée, c’est de remercier ce peuple. C’est la victoire de tous les Guinéens. Et encourager le professeur Alpha Condé qui est le nouveau Président de la République de Guinée. C’est un homme que j’ai connu dans sa lutte pour la démocratie.

Les élections se sont déroulées dans la tranquillité, même si on a enregistré quelques heurts, les deux leaders ont été des exemples en appelant les populations au calme au lieu de jeter de l’huile sur le feu. Quel est votre commentaire?

J’envisage de retourner en Guinée parce que c’est ma patrie. Je pense que ce qui me retenait ici, c’était convalescence. Ensuite que les élections se passent dans les meilleures conditions. Parce que si les élections ne se passaient pas dans les meilleures conditions, je n’aillais pas prétendre y retourner.

Est-ce que vous avez une idée du délai de votre retour en Guinée?

Je n’ai pas de délai. Puisque les élections sont finies et les résultats sont très clairs. Alors si je dois retourner en Guinée, ça dépendra de moi. C’est effectivement dire aux autorités en l’occurrence le Président Blaise Compaoré que je veux rentrer au pays.

Si vous retournez qu’allez-vous faire désormais ? Allez-vous enfiler votre treillis?

Moi, je dis que je suis un homme, je ne veux pas être encombrant. Je ne veux pas être à la base du malheur ou de la déstabilisation d’homme. Dire aujourd’hui que je retourne dans l’Armée, je vais être encombrant. Et donc, être un ancien président, c’est une ambition.

Le Président Condé a dit sur ‘’Africable’’ que s’il était élu, vous allez recevoir vos indemnités d’ancien chef d’Etat. Comment avez-vous reçu ce message?

J’en ai même en parler au Président Blaise et j’ai fait une doléance au Président Alpha Condé que je ne peux plus prendre la tenue militaire pour servir la Nation, pour le servir. Je peux servir ma Nation, servir le Président Alpha Condé mais pas dans l’Armée. Je l’ai décidé bien avant les élections présidentielles en Guinée.

Comment entrevoyez-vous votre avenir politique en Guinée?

Je voudrais vous parler d’un problème qui est primordial. C’est d’être utile au peuple guinéen et aussi au nouveau Président. Je n’ai pas besoin de faire de la politique. Ce n’est pas mon ambition pour le moment.

Quand vous étiez aux affaires, il y a eu le massacre du 28 septembre 2008. Le CPI (Cour pénale internationale) est sur le terrain. Est-ce que vous êtes inquiétés par des éventuelles poursuites du CPI ?

A ce jour, je ne suis pas inquiété du moment que la Cour pénale internationale a été très claire. C’est la justice qui doit faire le point de la situation.

Selon un rapport qui a été publié vous pouvez être un jour cité comme faisant partie des auteurs de ce qui est arrivé?

Vous savez ça c’est conditionnel. Et le conditionnel dépendra de la justice guinéenne. La commission nationale indépendante avait fait un premier travail. On dit qu’elle m’était favorable. Mais, je n’étais plus au pays, j’étais à Ouagadougou (Burkina Faso). Ce n’est pas moi qui aie constitué cette commission. Elle a été constituée à la base de toutes les sensibilités sociales, politiques, sages, etc. Elle est compétente. Si j’étais encore aux affaires, on aurait dit que j’ai manipulé, par influence, la commission nationale indépendante. Si celle-ci dit que le Président Dadis est coupable, qu’est-ce que moi je peux faire pour l’en empêcher ? C’est quand tu es aux affaires que tu peux inquiéter. Et c’est ce qui a d’ailleurs fait ma chance.

Monsieur le Président, qui a donné l’ordre de massacrer les populations le 28 septembre, parce que vous étiez Président de la République de Guinée?

Je n’ai jamais donné l’ordre depuis le début jusqu’à maintenant. Je peux me baser sur les conclusions de la commission nationale indépendante. Puisque la justice guinéenne a le dossier et que le dossier évolue, je laisse soin à cette justice de faire le point de situation pour éviter, sous prétexte de me rendre moi-même justice.

Vous ne pouvez pas être Président de la République et que de tels événements se produisent sans que vous ne sachiez pas les auteurs… ?

Quand vous dites que je ne peux pas dire que je n’étais au courant… Je suis rentré de ma tournée du ‘’Fouta’’. Je suis rentré aux environs de minuit ou une heure du matin, c’est à cette occasion que j’ai été informé. Cette même nuit, j’ai fait appel à l’un des leaders, M. Sydia Touré. Je lui ai dit de sursoir à la marche parce que les populations devaient se recueillir à l’occasion du 28. Je lui ai dit que ça intéresse tous le Guinéens et je crois que dans sa réponse, il m’aurait dit qu’il se faisait tard. Et donc, c’est ce qu’il m’a dit au téléphone et la communication a été interrompue. Epuisé que j’étais, je me suis couché. Le lendemain, on vient frapper à ma porte à 10h pour me dire qu’effectivement il y a une grande marche. Toutefois que les militaires se levaient, avec les coups de feu, je prenais mon courage pour aller m’arrêter devant ces hommes et puis, je les calmais. Ce jour-là, je voulais même partir. Je me suis dit si les populations me voyaient venir m’arrêter, le sentiment qu’elles ont pour moi, elles vont quand même relâcher. Les hommes de Dieu ne m’ont pas permis. Ils ont dit que tu es maintenant Président quand il y a des mouvements, tu ne peux plus jouer des rôles comme quand tu le faisais comme au moment où tu ne l’étais.

Monsieur le Président, selon des sources concordantes, ces massacres ont été perpétrés par des hommes qui avaient en charge votre sécurité. Que répondez-vous?

Oui ! Celui qui était mon aide-de-camp. C’est quand je suis entré au bureau, entre temps, j’ai appris qu’ils sont partis au stade. Là-bas, ils m’ont fait comprendre qu’il y a certains leaders politiques qui ont été blessés. La toute première question que j’ai posée : « Est-ce qu’ils n’ont pas tué un leader ? ». « Ils ont dit non qu’ils sont blessés ! ». Quand on les a envoyés au Camp Samory, j’ai réagi de peur que quelque chose leur arrive. C’est moi-même qui aie jugé nécessaire de les envoyer à l’Institut Pasteur. Et je crois qu’un des leaders politiques l’a même reconnu dans une interview. Et puis après, ils sont allés à l’étranger pour suivre des soins intensifs.

Votre responsabilité politique est engagée sur la question. N’est-ce pas?

Au même moment, j’ai adressé une lettre aux Nations Unies, cette lettre était non seulement une commission d’enquête internationale qui devait s’associer la commission nationale indépendante. Je dis bien ‘’indépendante’’, c’est-à-dire que ce n’est pas moi qui a choisi effectivement les membres. Ensuite, j’ai demandé un médiateur et j’ai demandé si possible un gouvernement d’union nationale. Du moment que les Nations Unies ont répondu favorablement, je me suis dit que si j’essayais d’arrêter des gens, on aurait dit peut-être aujourd’hui, si vous avez arrêtés tel ou tel vous le faites en connaissance de cause. Vous voulez voiler la vérité. Donc, j’ai été très prudent. Puisque la commission nationale indépendante est constituée de la commission internationale, ce sont seulement ces deux commissions qui peuvent interpeller un citoyen ou un militaire pour nécessiter d’enquête. C’était un succès. Je crois que quand ces commissions ont commencé leur travail, elles sont venues à mon bureau pour me poser certaines questions. J’ai répondu comme je vous ai dit. Toutes les personnes qui devaient être interpellées, les commissions l’ont fait.

Nous sommes la fin de cet entretien, quel est votre message à l’endroit des Guinéens et des Africains d’une manière générale?

Je remercie très sincèrement le peuple de Guinée et les Forces armées de part leur esprit républicain. Parce que malgré tout ce qui s’est passé l’Armée est restée dans un état de sauvegarde des lois républicaines jusqu’aux élections. Je remercie l’Afrique, tous les Africains et le dernier message, je souhaite que dans les autres pays africains, s’il y a des élections que celles-ci se passent dans de meilleures conditions pour éviter que l’Afrique soit sur un chemin de dérives.

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