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Le «Double standard» de Washington

Sep 26, 2012
Le «Double standard» de Washington

 Par Ted Carpenter

La réaction de Washington face à la montée des mouvements contestataires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient est à «géométrie variable». Tant l’administration Obama que le Congrès ont lancé des condamnations à l’encontre des régimes dictatoriaux en Iran, en Libye et en Syrie. En revanche, Washington a tergiversé sur l’opportunité de retirer son soutien à des « clients » dans des pays tels que la Tunisie, le Yémen et l’Egypte. Une réticence similaire est évidente à l’égard du conflit au Bahreïn.

Le Bahreïn est parfaitement situé pour être un pion dans la lutte entre
sunnites et chiites pour la domination du Moyen-Orient. La monarchie sunnite
de la petite nation insulaire dans le golfe Persique règne sur une
population qui est à près de 70 % chiite et les discriminations contre
celle-ci se manifestent dans presque tous les aspects de la vie. Téhéran
soutient ouvertement les factions chiites au Bahreïn, et l’Arabie saoudite
est le protecteur principal du roi Hamad ben Issa al Khalifa du Bahreïn.
Lorsque des manifestations massives anti-régime ont éclaté à Manama, la
capitale du Bahreïn, début 2011, les forces de sécurité ont répondu par des
tirs à balles réelles, tuant plusieurs dizaines de manifestants. La réponse
tiède de l’administration Obama était en contraste marqué avec la
condamnation virulente de répressions similaires en Iran, en Syrie et en
Libye. Pourtant, les forces de sécurité du Bahreïn ont emprisonné des
centaines d’adversaires du régime, y compris des journalistes nationaux et
étrangers ayant osé produire des reportages critiquant le gouvernement.
Amnesty International et d’autres organisations des droits de l’homme ont
également documenté plusieurs cas de torture.

La réponse de Washington à la répression, et même à l’intervention
saoudienne, a été extrêmement douce. La déclaration officielle de
l’administration n’a même pas spécifiquement critiqué l’Arabie saoudite pour
l’envoi de troupes. Au lieu de cela, le Département d’Etat a critiqué
l’intervention de « voisins » (signifiant apparemment l’Iran et l’Arabie
Saoudite), la qualifiant d’« alarmante », et averti tous les acteurs de la
région de garder « leur propre agenda » en dehors de la lutte entre la
monarchie et ses adversaires. Cette impartialité américaine s’est également
appliquée au conflit interne lui-même. Tout en prévenant la monarchie
Bahreïnie qu’une répression sécuritaire n’était pas une réponse appropriée
aux demandes de réformes politiques et économiques, le Département d’Etat a
également exhorté l’opposition au calme : « Vous ne pouvez pas utiliser la
violence. Vous devez retourner à la table des négociations ».

Une telle neutralité morale a été fort différente de la position américaine
à l’égard de la crise en Iran, en Syrie et en Libye. Ce « deux poids, deux
mesures » est devenu encore plus évident en mai 2012, lorsque, malgré la
persistance de rapports crédibles sur des emprisonnements arbitraires et
tortures d’opposants au régime, Washington annonçait la reprise des ventes
d’armes au gouvernement du Bahreïn. Michael Hayworth, un porte-parole
d’Amnesty International, a déclaré que « la suggestion faite par les
États-Unis qu’il y a des tentatives de réforme est une insulte aux militants
du Bahreïn qui continuent de demander, et de saigner pour, les droits de
l’homme. »

L’espoir que les responsables de l’administration Obama auraient pu avoir
que la monarchie adoucisse son traitement des opposants au régime s’est
bientôt révélé infondé. En septembre, un tribunal de Bahreïn a confirmé les
peines de prison pour treize principaux dirigeants de l’opposition (y
compris la perpétuité pour sept d’entre eux) des peines qu’un tribunal
spécial, largement partial, avait demandées en juin 2011.

La répression continue bahreïnie et sa brutalité mettent Washington dans une
position très inconfortable. Les dirigeants américains ont clairement donné
la priorité à la préservation du principal port d’attache de la Cinquième
Flotte. L’analyste Michael Rubin, va-t-en-guerre congénital, concède: « En
tant qu’hôte de la cinquième flotte américaine, Bahreïn est la clé de voûte
de la stratégie régionale de l’Amérique. L’administration Obama a raison de
s’inquiéter de ce que le renversement de la monarchie au Bahreïn puisse
conduire à l’éviction des intérêts américains dans cette petite nation
insulaire ». Au-delà de cette considération, les dirigeants américains
suspectent sans nul doute un soutien de l’Iran aux factions anti-régime et
craignent qu’un changement de régime au Bahreïn ne renforce le pouvoir et
l’influence de Téhéran.

Mais le flagrant «double standard» de Washington signifie davantage qu’un
risque modeste. Non seulement cette hypocrisie est-elle notée mais aussi
exploitée dans l’Iran chiite, mais elle a conduit à la critique de la part
de la majorité chiite de l’Irak voisin, et des populations chiites en Syrie
et au Liban. On pourrait aussi s’interroger sur la réaction de la minorité
chiite d’Arabie Saoudite.

Les Etats-Unis courent un double risque avec leur soutien continu à la
monarchie du Bahreïn. Ce «deux poids, deux mesures» renforce d’abord le
point de vue cynique parmi les populations du Moyen-Orient et ailleurs que
l’Amérique ne défend la démocratie et la liberté humaine que quand cela
arrange les intérêts de Washington. L’autre danger est que les États-Unis
s’empêtrent toujours davantage dans l’ancienne querelle entre les branches
sunnite et chiite de l’Islam. L’ingérence de Washington en Syrie suscite des
préoccupations similaires, et la probabilité d’un sérieux retour de flamme
contre les Etats-Unis est très élevée eu égard à la fois aux situations
syrienne et bahreïnie.

Le problème impliquant le Bahreïn n’est pas près de disparaître. Le
gouvernement du roi Hamad, soutenu par son patron l’Arabie, semble déterminé
à garder le pouvoir, peu importe la brutalité qu’il doit employer. Et la
majorité chiite devient de plus en plus agitée et en colère face à un tel
règne autocratique et discriminatoire. Le casse-tête bahreïni de Washington
ne peut que s’aggraver.

Ted Carpenter est analyste au Cato Institute à Washington DC.

Publié en collaboration avec UnMondeLibre.org

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