L’écartèlement de Léopold Sédar Senghor - entre l’affirmation de ses racines sénégalaise et son attrait pour la France – de même que ses échecs politiques fonctionnent à postériori comme une perspective ouverte sur le multiculturalisme et les diverses problématiques identitaires liées à la globalisation actuelle du monde, ont soutenu des analystes dont Roland Colin.
‘’Senghor a été vraiment très très novateur’’, a déclaré mardi sur RFI Roland Colin, ancien directeur de cabinet de Mamadou Dia, allié politique devenu rival du président sénégalais. Dia était le président du Conseil du gouvernement sénégalais sous Senghor.
Considéré avec Aimé Césaire comme les pères du concept de Négritude, Senghor a plus soulevé des problématiques nouvelles qu’il n’a été ‘’un artisan de solutions’’, a ajouté Colin lors d’un débat consacré à la chaîne internationale française sur ce qui reste de l’héritage de l’ancien président sénégalais.
L’historien sénégalais Mamadou Diouf, enseignant à l’université de Columbia (New York) ainsi que le poète Hamidou Sall, un des héritiers de Senghor, participaient à ce débat coïncidant avec l’anniversaire des dix ans de la mort du poète-président.
Colin a noté ‘’le drame des contradictions internes‘ ’de Senghor qui a essayé de dépasser en s’ouvrant à l’universel. Mais, ‘’dans ce qui peut paraître comme des échecs’’ de l’homme politique notamment, ‘’il y avait des horizons qui demeuraient’’, a-t-il analysé, notant qu’il n’a par exemple ‘’jamais eu un attachement névrotique au pouvoir’’.
Après avoir exercé le pouvoir pendant vingt ans au cours desquels il a notamment bâti les bases d’un Etat démocratique, Senghor a annoncé le 31 décembre 1980 sa démission de la présidence. Il est remplacé par son Premier ministre, Abdou Diouf, conformément à la Constitution.
‘’Il est entré en politique un peu en rechignant, pensant que s’il lui (la politique) obéissait complètement, sa vocation littéraire risque d’être compromise’’, a repris Roland Colin, auteur du livre ’’Sénégal notre pirogue. Au soleil de la liberté’’.
Roland Colin est un ancien et fidèle collaborateur français du président Dia, mais il ne cache pas ses liens avec Senghor, son ex-professeur à l’Ecole nationale de la France d’Outre-mer.
‘’Moi je vois que Senghor a vécu l’identité africaine dans sa chair, dans son histoire (…) souvent douloureusement’’, de sorte qu’il a été ‘’souvent torturé’’, souligne Colin, en écho à la position de l’historien Mamadou Diouf selon laquelle la double vie politique française d’abord puis sénégalaise de l’ancien président devrait être prise en compte dans l’analyse de son héritage.
Selon Diouf, Senghor a mené de front une double réflexion sur la culture française et sur les voies et moyens de ‘’sauver l’Empire’’ colonial français et ce ‘’rapport très fort’’ à la France a ‘’obscurci’’ sa réflexion autant que son action politique. Il a ajouté cependant que ce ‘’déchirement productif’’ lui a permis de rester un humaniste.
‘’Tout Senghor était dans cette unité dans la pluralité’’, rétorque le poète Hamidou Sall selon qui Senghor dont il est présenté come l’un des disciples a choisi de se donner une ‘’identité librement multiple’’. ‘’La présidence de Senghor (1960-1980) reflète cette identité multiple’’, a-t-il précisé.
‘’Je pense que Senghor est aussi une source pour demain (…). Je reste convaincu que la pensée de Senghor peut-être une source pour demain parce qu’il s’est frotté à des problématiques contemporaines’’ comme le métissage, a dit Sall.
Senghor ‘’joue un rôle très important’’ en ce qu’il a été par exemple ‘’l’un des premiers penseurs’’ à inciter la France à se réformer et à s’accepter comme ‘’un Etat multinational’’, a également analysé Mamadou Diouf.
‘’Senghor pensait une unité de l’Empire (français) réformé comme la reconstitution du pluriculturel’’, a poursuivi l’historien selon qui cette perspective philosophico-politique fait la contemporanéité du premier président sénégalais. – AfricaLog avec APS