L’imam à la tête de la coalition qui réclame un changement de pouvoir au Mali a appelé ses partisans au calme dimanche après deux jours de troubles qui ont fait au moins onze morts et créé un climat quasiment insurrectionnel à Bamako.
La capitale, préservée en temps normal par les violences djihadistes et intercommunautaires qui endeuillent le nord et le centre du pays, est la proie depuis vendredi de ses troubles civils les plus graves depuis des années.
Les violences ont fait onze morts entre vendredi et dimanche midi, a indiqué un responsable des urgences d’un grand hôpital de la capitale, s’exprimant sous le couvert de l’anonymat en raison du caractère sensible de ces données dans une situation politique volatile.
La tension restait palpable dimanche soir à Bamako. Sans renouer avec l’intensité des affrontements des jours précédents, la ville est restée troublée dimanche par les regroupements spontanés de centaines de personnes dans la rue, la coupure d’axes importants par des barrages ou des pneus brûlés, ou encore le saccage d’un tribunal et d’un siège de quartier du parti présidentiel.
Dans le quartier de Badalabougou, un calme précaire est revenu. Des centaines de fidèles se sont pressés dans la vaste salle aux colonnes vertes de la mosquée et à l’extérieur pour les funérailles de quatre défunts qu’ils ont ensuite suivis en cortège au cimetière ?
C’est autour de la mosquée que se sont déroulés samedi soir les affrontements les plus sanglants. La mosquée est celle où prêche l’imam Mahmoud Dicko et ses partisans en ont transformé les abords en camp retranché, inquiets que les forces de sécurité ne viennent l’arrêter.
Une vingtaine d’opposants ont été arrêtés depuis vendredi, dont plusieurs leaders de la contestation, a dit un de leurs avocats, Alifa Habib Koné.
L’entourage de l’imam a diffusé des vidéos s’apparentant à des images de guerre des évènements de samedi soir.
Elles montrent au moins deux hommes visiblement morts baignant dans leur sang et d’autres perforés par des projectiles, ainsi qu’une grande confusion d’hommes s’agitant dans le complexe de la mosquée selon l’entourage de M. Dicko. Des coups de feu claquent à distance par saccades régulières, sans que les tireurs puissent être identifiés.
«Vous êtes en train de tuer les Maliens, dans la mosquée, (à ) balles réelles. La mosquée est en feu», s’écrie un homme dans l’une de ces vidéos qui n’ont pas pu être identifiées indépendamment.
L’imam, personnalité nationale très écoutée et bête noire du pouvoir, a appelé au calme.
«Je demande encore une fois à la jeunesse malienne de faire preuve de retenue et de calme », a-t-il dit.
«La lutte continue», pour la «refondation» du Mali et contre «la corruption endémique qui est en train aujourd’hui de mettre notre pays à genoux», a-t-il ajouté, mais elle doit continuer «dans la patience» et les «bonnes manières».
À qui la faute
Les tensions sont allées s’intensifiant à Bamako depuis les législatives de mars-avril. Une coalition hétéroclite de leaders religieux, de personnalités du monde politique et de la société civile s’est agglomérée autour de l’imam Dicko pour porter la protestation.
Ce mouvement dit du 5 –Juin canalise une multitude de mécontentements dans l’un des pays les plus pauvres du monde contre la dégradation sécuritaire et l’incapacité à y faire face, le marasme économique, la défaillance de l’État, ou le discrédit répandu d’institutions suspectes de corruption.
Vendredi, le mouvement est entré selon ses mots en «désobéissance civile », frustré par les réponses successives du président à des exigences radicales: dissolution du Parlement, démission des juges de la Cour constitutionnelle, formation d’un gouvernement dont il nommerait le premier ministre et, au bout du compte, départ du président Ibrahim Boubacar Keïta. Le mouvement dit être pacifique et accuse le pouvoir des violences.
Alliés et voisins inquiets
La décision de la Cour constitutionnelle d’invalider une trentaine de résultats des législatives passe pour un élément déclencheur de la contestation.
Samedi soir, le chef de l’État a annoncé la dissolution de la Cour. Il a aussi ouvert la voie à des législatives partielles là où la Cour a invalidé les résultats, suivant en cela les recommandations d’une mission de bons offices des États ouest-africains.
L’escalade en cours alarme en effet les alliés du Mali, inquiets d’un élément déstabilisateur de plus dans un pays confronté au djihadisme et à une série de défis majeurs, dans une région elle-même tourmentée.
Aucune des ouvertures de M. Keïta, 75 ans, président depuis 2013, n’a jusqu’alors fait retomber la fièvre, au contraire. - AfricaLog avec agence