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L'inquiétant reflux démocratique en Afrique

Oct 09, 2009

Putschs, scrutins trafiqués... Le sanglant naufrage de la junte guinéenne n'est que le dernier avatar en date d'une inquiétante régression.

Le vent mauvais de la régression politique balaie l'Afrique francophone. Il a déferlé sur Conakry (Guinée), théâtre le 28 septembre d'un atroce carnage (lire l'encadré ci-dessous). Mais ses rafales ébranlent partout les fragiles acquis des deux décennies écoulées, laissant dans leur sillage des putschistes absous par les urnes, des scrutins sans cesse différés, des Constitutions expurgées de tout antidote au poison autocratique et des dynasties naissantes, où le fils reçoit en héritage le sceptre paternel.

Point d'angélisme. Jamais les ex-colonies françaises n'ont fait figure de paradis pluralistes. Mais, au moins, l'éveil de sociétés civiles ardentes et brouillonnes imprimait-il un élan, aujourd'hui freiné sinon brisé.

Fatalité? Non, bien sûr. Une convergence de facteurs éclaire le phénomène. A commencer par la faiblesse des structures étatiques héritées de l'ère coloniale, trop précaires pour transcender l'allégeance ethnique ou contenir les appétits de militaires enclins à se poser en ultime recours face au chaos. Handicap originel qu'aggrave la mansuétude d'un Occident, France en tête, obsédé par la stabilité des régimes en place, garants supposés des approvisionnements énergétiques, de la maîtrise des flux migratoires, voire d'une lutte efficace contre le terrorisme islamiste, le trafic de drogue ou la corruption. Les despotes, eux, jouent de ces hantises et pratiquent volontiers le "chantage à la Chine". Il s'agit pour ceux qu'irritent les sermons vertueux de céder aux avances pressantes de Pékin, peu regardant sur les droits de l'homme ou l'orthodoxie budgétaire.

Ici commence un bref périple au royaume du reflux démocratique.

Mauritanie: pour solde de tout mécompte

L'élection du 18 juillet dernier consacre le triomphe de Mohamed Ould Abdelaziz, cerveau du putsch mené un an plus tôt aux dépens d'un président élu. L'ex-général reçoit l'imprimatur de l'Union africaine (UA), qui réintègre Nouakchott dans ses instances avant même le scrutin, puis du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, bailleurs prompts à débloquer les crédits gelés.

La France, elle, rengaine vite ses griefs envers un galonné désormais très en cour à l'Elysée, tenu pour un allié sûr dans le combat contre la "déstabilisation de l'aire saharo-sahélienne", où sévissent les jihadistes d'Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI).

Hasard? Total vient d'entreprendre une campagne de forages dans le nord du pays.

Cauchemar à Conakry

Un pays riche en minerais mais peuplé de miséreux, dirigé par un clown tragique, lui-même otage d'une armée de soudards. Tel est le sort de la Guinée, endeuillée par la tuerie du 28 septembre (au moins 157 morts et 1 200 blessés, fauchés dans un stade de Conakry par les balles des "bérets rouges"). Lors de son accession au pouvoir, en décembre 2008, le capitaine Moussa Dadis Camara a la cote: sa junte supplée alors le défunt despote Lansana Conté, et son purisme révolutionnaire - haro sur les corrompus et les cartels de la drogue - séduit Paris. A présent, le sous-officier, vindicatif et mégalo, qui prétend concourir lors de la présidentielle de janvier 2010, après avoir juré de s'effacer, n'amuse plus. D'autant qu'il récuse toute responsabilité dans le carnage, imputé à un "complot" imaginaire. "J'ai hérité, avance-t-il, d'une armée où le caporal peut dire merde au général." Pas faux. Brutale, indisciplinée, la troupe est tiraillée par des tensions ethniques aiguës. Issu d'une ethnie forestière minoritaire - les Guerzés - "Dadis" semble soumis aux appétits des caïds galonnés de sa caste. Lesquels recrutent en catimini d'ex-rebelles libériens ou sierra-léonais. Le salut de la Guinée, qui n'a connu que la dictature depuis l'indépendance, passe par une profonde réforme de cette soldatesque. Avec ou sans l'ubuesque "Idi Amin Dadis". Ce serait mieux sans.

Niger: l'ivresse du pouvoir et de l'atome

Le président Mamadou Tandja devait s'effacer fin 2009, au terme de deux quinquennats successifs. Il n'en fera rien. Le référendum du 4 août prolonge son bail de trois ans et l'autorise à briguer ensuite autant de mandats qu'il lui plaira. Gare à quiconque prétend entraver son dessein: Tandja a dissous l'Assemblée nationale puis la Cour constitutionnelle, avant de gouverner par décrets. De même, il neutralise ses rivaux, poursuivis pour malversations financières, et harcèle les députés réfractaires. Autant dire que les législatives du 20 octobre, boycottées par l'opposition, tiennent de la mascarade.

A Paris, on grommelle. D'autant que l'autocrate nigérien bafoue l'engagement de "partir la tête haute" souscrit en mars devant Nicolas Sarkozy. Mais il faut bien sauvegarder l'emprise d'Areva - qui a arraché au prix fort l'exploitation du gisement d'uranium d'Imouraren - menacée par une vigoureuse offensive chinoise.

Le bricolage constitutionnel a d'autres adeptes. A l'instar du maître du Cameroun - Paul Biya - le président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, s'apprête à "revisiter" la loi fondamentale, histoire de briguer en toute quiétude un quatrième mandat.

Au rayon des simulacres électoraux, le Congo-Brazzaville mérite une mention spéciale: nourri au lait du parti unique et de la loi des armes, Denis Sassou Nguesso a été réélu le 12 juillet avec 78,61% des voix. Score écrasant, qui ne l'aura pas dispensé de former un gouvernement verrouillé par son clan mbochi.

Gabon: une élection royale

Crédité, le 30 août, de 41,73% des suffrages, Ali Bongo Ondimba coiffe donc la couronne de son illustre père, au prix d'un scrutin à un tour vivement contesté. Conseiller occulte de "Sarko" et figure de proue d'une Françafrique revigorée, Robert Bourgi avait levé le voile sur le calcul élyséen: "Ali est le meilleur garant des intérêts de la France." Entachée de fraude, la victoire de "Monsieur Fils" apparaît aussi comme le gage le plus sûr d'un essor de la francophobie, notamment au sein d'une jeunesse amère et désoeuvrée.

Les précédents dynastiques invitent à la circonspection. Pour preuve, le Togo. Intronisé par l'armée à la mort de son père, puis élu sur fond de répression meurtrière, Faure Gnassingbé peine encore à asseoir sa légitimité, y compris au sein de son clan familial. En témoignent les purges consécutives au coup d'Etat avorté d'avril, attribué à son demi-frère Kpatcha. Prochain test: la présidentielle de février-mars 2010.

La tentation héréditaire n'épargne pas le Sénégal, théâtre en 2000 d'une alternance exemplaire. Quand Abdoulaye Wade, 83 ans, annonce le 17 septembre 2009 qu'il compte briguer un nouveau septennat en 2012, c'est avant tout pour panser les plaies de la mouvance présidentielle, déchirée par la perspective d'une candidature de son fils Karim.

Côte d'Ivoire: au pays du perpétuel report

Gouailleurs, les Abidjanais ironisent sur ce "mandat-bonus" : quatre ans après le terme de son quinquennat, Laurent Gbagbo préside toujours le Pays des éléphants. Et il faudrait un miracle pour que soit respectée l'échéance du 29 novembre. Retards administratifs et impasses financières? Soit. Mais les Ivoiriens payent avant tout la fracture Nord-Sud, rançon du coup d'Etat manqué de 2002. D'autant que le cantonnement des ex-rebelles et le désarmement des miliciens patinent.

Madagascar: une transition en cale sèche

Signé le 9 août, l'accord de Maputo (Mozambique) jette les bases d'un gouvernement d'union censé piloter la Grande Ile jusqu'aux élections générales, fin 2010. On en est loin. Andry Rajoelina, qui a évincé, en mars, l'autocrate élu Marc Ravalomanana, tient à garder la main sur les portefeuilles clés. Bref, ça coince. Au point que ses rivaux, les ex-présidents Ravalomanana, Ratsiraka et Zafy, ont vainement prié l'armée d'assumer l'intérim...

Au fil de cet inquiétant voyage, on aura appris la formule magique du "bon coup d'Etat": celui qui fait échec à l'anarchie, que blanchit la lessiveuse électorale et dont les auteurs restaurent un ersatz d'ordre constitutionnel. – L’Express 

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