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L’inconsistance des acteurs politiques guinéens menace la transition

Feb 08, 2010

Par Abdourahamane Barry

Les nouvelles en provenance de Guinée décrivent de façon, on ne peut plus claire, l’étrange spécificité guinéenne. En 1984 à la suite de la prise du pouvoir par l’armée, le premier ministre d’alors feu colonel Diarra Traoré avait tenté d’interpréter le bilan de notre indépendance en parlant de regret. Il n’avait pas eu la chance d’être écouté.

Toutefois, 25 ans après son cri d’alarme, il s’est avéré que ces propos n’étaient pas insensés car la gestion de notre pays par ses propres fils n’est pas meilleure à celle de ses occupants étrangers d’hier. Pire, nous n’arrivons pas à le réaliser. Nous devons nous poser la question de savoir si réellement nous avons pu acquérir les compétences nécessaires à la gestion d’une nation, fut-elle la notre et de comprendre et réaliser que certains principes moraux tels que droits et démocratie ont une portée universelle.

De 1958 à nos jours, nous sommes victimes de nos propres abus. En 1984, nous avions dit : «PLUS JAMAIS CA ». En 2007, nous avions répété le même slogan et il y a quelques semaines, nous nous étions sentis rassurés à la suite de la signature des accords inter-CNDD entre le général Sékouba Konaté et le capitaine Dadis à Ouagadougou.

En dépit des déclarations de soulagement qui proviennent de tous les coins du monde, le ciel continue d’être nuageux sur la Guinée tout en donnant raison à feu le colonel Diarra, malgré lui, je crois. Il n’aurait jamais aimé que la réalité guinéenne donne le sens qui est dû à ses propos. Mais hélas ! En dehors du Ghana et du Liberia, tous les pays africains qui, aujourd’hui, se mobilisent pour aider la Guinée à être dans la voie d’une évolution politique normale et à sortir de cette crise, ont acquis leur indépendance bien après elle. La colonisation que je n’ai pas connue, avait-elle fait tuer et violer au tant que les trois régimes qui ont dirigé successivement notre pays en 50 ans en ont fait les colons en 60 ans? Cette question est essentielle pour mieux analyser les propos de feu Diarra.

Aujourd’hui, l’avenir de notre pays se joue au Burkina sous l’égide de son président Blaise Compaore et du criminel numéro un du pays et qui, cependant, devait être en prison. Ce qui est étonnant, c’est le fait que l’on n'arrive pas à réaliser que le pouvoir de Dadis n’a rien de légal et de légitime. Le Tout Puissant nous a libérés de la violence du CNDD par un de ses membres en la personne du lieutenant Toumba qui a refusé de porter seul la responsabilité des crimes contre l’humanité commis contre nos concitoyens. Et n’allons pas saisir l’opportunité offerte par un autre membre de la machine meurtrière pour travailler dans la poursuite de notre rêve national.

Les intérêts divergents poursuivis par les uns et par les autres ont fini par créer un bi-cephalisme évident à tous les niveaux et nous amènent à interpréter les principes universels cités plus haut conformément aux objectifs à atteindre dans la sphère à laquelle nous appartenons. Cet état des faits compromet toutes nos démarches dans la recherche des solutions de sortie de crises. Les exemples ne manquent pas qui illustrent cette remarque. Le rejet de la logique a fini par faire de nous un peuple qui pense, agit et qui croit n’exister qu’au présent. Aujourd’hui c’est toute la nation qui devait se mobiliser et faire peau neuve pour ne pas que ce tournant de l’histoire de notre pays ne s’ajoute à la longue liste des occasions manquées en Guinée depuis 1958.

Pour réussir cette transition qui s’ouvre avec la bénédiction du règlement de comptes entre les acteurs de la violence en Guinée, nous devons travailler l’avènement de l’Etat de droit ce qui nous éviterait d’être condamnés par les générations futures. C’est pourquoi, il est plus qu’urgent que les guinéens acceptent un vrai débat et sans tabous sur tous les fléaux qui entachent la vie de notre société et de notre nation. A mon entendement de toutes les maladies dont souffre aujourd’hui, notre pays et qui sont toutes causées par la mal gouvernance, l’ethnocentrisme est la plus mortelle pour la Guinée en tant que nation. Utilisé par tous les trois régimes, chacun en son temps, pour conserver le pouvoir au nom d’une appartenance identitaire qui en fait n’a servi que quelques individus ou des clans mais jamais toute l’ethnie au nom de laquelle, le pouvoir est revendiquée. Pendant que la première république dénonçait « un racisme peulh » c’est toutes les fondations humaines, économiques et sociales qui étaient détruites en Guinée de la Basse à la Guinée Forestière en passant par la Moyenne et la Haute. Des citoyens appartenant à tous les groupes ethniques et qui contribuaient ou pourraient contribuer au développement de la nation furent sacrifiés. La loi-cadre et Cheytane 1975 ont laissé des cicatrices en Haute Guinée.

En 1985, le fameux « Wo Fatara » n’a pas mis ceux dont ce slogan était destiné à exprimer la frustration à l’abri des conséquences de l’arbitraire et de la corruption dans l’impunité. Des compatriotes de la Guinée Forestière ont subi comme tout le monde en Guinée, les massacres, les viols et en un mot la violence que notre pays connaît depuis plus d’un an maintenant. Même si des postes de souveraineté ou bien stratégiques ont été distribués sur la base d’une certaine consanguinité, je continue de croire que Sékou Touré, Lansana Conté et Moussa D. Camara ont utilisé l’ethnocentrisme non pas pour servir leurs ethnies mais pour leurs intérêts personnels liés au maintien du pouvoir. Cette gangrène qu’ils ont laissée dans le corps Guinée doit être soignée pour que nous retrouvions la voie du salut parce que tant qu’elle restera là, nous resterons incapables de respecter les principes de base pour gérer une nation normale. Cette maladie nous empêche de regarder dans la même direction et de trouver la solution, celle-là, qui s’appliquera et aura les mêmes effets en Haute, Moyenne, Basse et Guinée Forestière.

Aujourd’hui, nous devons ensemble demander des comptes à nos hommes politiques pour la réussite de cette transition qui est une étape cruciale dans le processus d’édification de l’état de droit ambitionné par le peuple de Guinée. Le général Konaté doit nous éclairer davantage sur sa réelle position face à la situation confuse qui prévaut depuis son retour du Burkina. Il a été reçu à Conakry comme un véritable héro, mais il semble maintenir une loyauté à son ami le capitaine Dadis. Dadis étant le commandant en chef des Forces armées guinéennes est responsable de la tragédie du 28 septembre 2009. La Commission d’Enquête des Nations Unies dans son rapport l’a clairement reconnu coupable de crimes contre l’humanité. Le pouvoir du capitaine Dadis n’a jamais été légal ni légitime, donc il ne peut revendiquer en tous cas selon toute logique un quelconque privilège de chef d’Etat guinéen même s’il ne devait pas être traduit devant la CPI. Le général Konaté, quant à lui, jouit de l’acceptation du peuple de Guinée ainsi que de celle de la Communauté Internationale. C’est pourquoi, il doit se sentir aujourd’hui le premier magistrat du pays et mettre maintenant fin à toute loyauté surtout à celui qui a commis des crimes contre l’humanité dans son propre pays. Le général Konaté doit cesser de gouverner avec des gens qui sont accusés des mêmes crimes. Il devait dès son retour d’Ouagadougou, prendre des mesures allant dans le sens de la rectification et de la restauration des victimes dans leurs droits. Il devrait dissoudre la Commission Nationale d’Enquête et ne pas permettre au président de celle-ci d’avoir l’occasion d’insulter la mémoire des innocents massacrés et violés et la dignité de leurs familles. La structure de son équipe est en totale contradiction avec l’appel au changement qu’il a lancé.

Quant aux Forces Vives, elles doivent à leur tour nous éclairer sur leurs objectifs qui ne doivent pas se résumer à la seule volonté d’accéder au pouvoir. Depuis que le Tout Puissant a éloigné leur concurrent du CNDD, leurs leaders ont abandonné certaines de leurs revendications que la Communauté Internationale a accepté de supporter. Ils ont renoncé à l’idée de la création d’un cadre de concertation que le général Konaté a pourtant offert et se sont précipités dans une aventure qui risque d’être périlleuse pour l’avènement de la démocratie dans ces très courts six mois. Une concertation sur la transition aurait permis d’en définir la feuille de route et présenter à nos partenaires étrangers une vision leur permettant de savoir où nous sommes et où nous voulons aller.

 

Une autre source d’inquiétude pour l’avènement de l’état de droit, c’est l’indifférence de la classe politique face à l’impunité, on parle de détournements par des adversaires politiques, mais jamais des crimes contre l’humanité dont est victime le peuple de Guinée depuis l’indépendance. Le premier ministre issu des Forces Vives dont des supporters ont été massacrés, violés, expropriés de leurs biens en 2006, en janvier et février 2007 et surtout encore en septembre 2009 prévoit dans son gouvernement un poste pour auditer des concurrents anciens premiers ministres mais pas les anciens présidents et à plus forte raison enquêter sur les violations des droits de l’Homme dont la Guinée est le théâtre depuis qu’elle est gérée par ses propres fils.

Ni le président, ni le premier ministre de la transition ne parlent de ceux dont les sacrifices les ont mis aux fonctions qu’ils occupent actuellement. L’arrivée de l’envoyée de la CPI nous édifiera davantage sur leur attachement à la justice et leur position face a l’impunité. Si l’improvisation et l’inconsistance continuent à marquer les décisions et les actes des dirigeants de la transition, la Communauté Internationale pourrait des sentir dans un manque d’interlocuteurs valables et éventuellement dans l’obligation d’abandonner les efforts louables qu’elle est en train de déployer en faveur du processus de retour à l’ordre constitutionnel en Guinée.

Je ne le souhaite pas, mais!

Abdourahamane Barry

Abdourabarry7@gmail.com

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