Par Idriss Touré, Analyste géo-stratège
Texte inspiré d’articles de presse et d’auteurs
Mort de Ben Laden
En dépit du volume d’informations contradictoires qui entourent la mort de ce qu’i est considéré comme "le terroriste â„– 1", informations distillées par Washington et relayées par les médias à l'échelle mondiale, le doute n’est plus permis : Ben Laden est mort. Un symbole du terrorisme islamiste ainsi supprimé, est-ce la fin du terrorisme attribué à l’islamisme ? La question demeure. On sait tout de même que Ben Laden était, depuis septembre 2001, le centre d’intérêt de la politique extérieure et l’objet de nombre de rapports ainsi que de la politique intérieure du pays de l’Uncle Sam.
Dans la chasse à l’homme entreprise contre ce personnage, les USA ont initié deux guerres : l’une en Irak et l’autre en Afghanistan. Avec des fortunes diverses. Plus de 1000 milliards USD de dépenses. Rien que pour les quatre dernières années, 4 240 personnes civiles sont recensées parmi les victimes des bombardements anti-Al-Qaïda au Pakistan. Selon des données officielles, la guerre et les effets de la terreur dans ce pays auraient fait 30 452 personnes.
Côté USA, le bilan des pertes en Iraq et en Afghanistan serait de 6003 soldats tués ; les victimes au sein de la population paisible de ces pays sont estimées à des dizaines de milliers de personnes. Des bilans qui n’ont pas trouvé que de l’assentiment dans le monde musulman.
Expliquant la hargne des américains contre Ben Laden, Alan Woods n’a pas hésité d’écrire : « En fait, Ben Laden savait trop de choses. Si un procès avait été organisé, il aurait sans doute rappelé le rôle de la CIA dans la promotion d’Al-Qaïda et des Talibans. La CIA a joué un rôle important dans l’armement et l’entraînement des fondamentalistes, y compris de Ben Laden lui-même. Il ne fallait pas qu’il parle – et ils l’ont empêché de parler.»
En ce mois de juin 2011, comme annoncé il y a quelques années, devrait commencer le retrait des troupes du contingent américain basé en Afghanistan.
En attendant, ce n’est pas le récent séjour du secrétaire à la défense américain, Robert Gates ou les déclarations du président afghan, Hamid KarzaÏ demandant le départ de ces troupes, qui rassurent. Surtout que pas l’ombre d’un gouvernement démocratique et responsable ne semble pas sur pied dans ce pays, où économie reposerait, selon certaines sources, seulement sur le pillage de l'aide étrangère et la vente de drogue dont la production aurait été multiplié par dix par comparaison de la situation actuelle à celle d’avant l'irruption militaire étrangère.
On se souvient d’ailleurs de l'évasion monstre et inquiétante du mois d'avril dernier d’un groupe de 500 prisonniers talibans de la prison de Kandahar. Les saccages opérés sur la représentation de l'ONU dus à ce qui est qualifié d’'outrage Coran par les USA démontrent à suffisance le degré des "sympathies" de la population locale.
Ce n’est donc pas pour rien que Washington, selon la Secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, «souhaite parler avec l'ennemi». Ce désir était déjà confirmé lors des rencontres des mois derniers avec les révoltés en Allemagne et du Qatar. Les négociations sont conduites, selon des sources, par des intermédiaires non gouvernementaux et la collaboration de certains gouvernements arabes et européens.
Selon les mêmes les USA seraient prêts à attirer l'Inde, l'Arabie Saoudite et même l'ennemi, l'Iran, autour de la table des négociations. En espérant accélérer le processus de retrait des troupes américaines, la maison Blanche consentirait à ce qui paraissait, jusque-là, inconcevable à savoir, la participation du mouvement taliban dans un gouvernement de l'Afghanistan.
Ces derniers temps, les rencontres sont devenues encore plus fréquentes. En mai dernier, les représentants officiels des USA, au moins, par trois fois, communiquaient avec des hommes proches du leader du mouvement le Mollah Oumar, sur le territoire du Qatar et en Allemagne. Les talibans, de leur côté, préfèreraient des contacts directs avec les Américains et proposeraient d'ouvrir une représentation du mouvement au Qatar. En outre, les leaders talibans demanderaient que leur soit accordée «une parcelle du pouvoir politique» en Afghanistan.
Barack Obama dans la perspective de la présidentielle de 2012 ?
Les Américains tiennent Kaboul au courant des négociations, mais Islamabad est désormais informé, seulement de façon partielle. Selon des fonctionnaires américains sur le couvert de l'anonymat.
Considérée par les uns comme une des plus graves erreurs et par les autres comme une victoire sur le terrorisme, Barack Obama déclare, quant à lui, assumer toute la responsabilité de l'attaque et même de l’assassinat de Ben Laden. Si Georges Bush ne l’a pas réussi, lui, Obama l’a pu.
Dans le récit du déroulement de l’opération, Barack Obama a, plusieurs fois, mentionné : « j'ai donné l'indication à Léon Panetta, le directeur de la CIA », « m'ont rapporté l'accroc possible », « j'ai décidé, que nous avons assez d'informations », « selon mon instruction, les USA ont fait orienté l'opération ». Toutes les conjugaisons sont ainsi faites à la première personne de l’indicatif ; sans oublier le dédain manifesté à l’endroit du gouvernement le plus pro-américain au pouvoir à Islamabad. La cote de popularité de Barack Obama aurait augmenté de 9%.
Le gouvernement du Pakistan embarrassé ?
Avec la situation embarrassante dans laquelle se trouve désormais le gouvernement pakistanais, Washington tâche, toutefois, de combler le fossé qui s’est creusé entre les deux capitales depuis la découverte de la présence de Ben Laden sur le sol pakistanais. Beaucoup n’hésiteront pas à dire que cette présence était due à une couverture d’Islamabad. Malgré les dénégations du Président Asif Ali Zardari, Washington reste sceptique et multiplie, désormais les initiatives avec, au bout du compte, le retrait de ses troupes du territoire afghan. Les fissures ainsi constatées au niveau des relations entre le Pakistan et les USA sont devenues si béantes, qu’elles tarderont à se refermer et les cicatrices, à s’effacer.
Les Etats-Unis ne comprenant toujours pas le mutisme observé par le Pakistan, 11 heures après l’annonce de l’acte de liquidation de Ben Laden, ainsi que sa présence dans la ville pakistanaise d’Abbottabad. Au sommet du pouvoir à Islamabad, le choix a dû sembler difficile : quelle version crédible à donner à la nouvelle donne qui se présentait.
Trois cas de figure ont ainsi dû dicter le comportement d’Islamabad :
- Premièrement : il n’est pas exclu des actes de répression pour venger le meurtre de Ben Laden. Le président du Pakistan Asif Ali Zardari sait cela mieux que quiconque, que son épouse Benazir Bhutto a péri des mains des terroristes.
- Deuxièmement : il est impossible d'ignorer les humeurs d’antiaméricanisme au Pakistan. L'opinion de la rue influence. Et le style qualifié de "brutal" dans la conduite des Etats-Unis d’Amérique dans le monde musulman, les attaques régulières des avions téléguidés, les victimes enregistrées, comme l’affirment même les officiels à Islamabad, deviennent des causes de cas de terrorisme au sein d’une population qualifiée de paisible, sans compter et les scandales avec les employés de la CIA. Le sentiment d’antiaméricanisme et de dépit est devenu si perceptible qu’il transparait clairement dans les propos de l’ancien président du Pakistan Pervez Mousharraf : « du point de vue politique, la liquidation de Ben Laden est une violation de la souveraineté de mon pays. »
- Troisièmement, les relations que le Pakistan entretient avec les talibans deviendront de plus en plus tendues. Et cela constitue une étape clé. Comme on le sait, les talibans sont une création des secrets pakistanais à travers des réfugiés pachtounes. Et cela, avec l’assentiment des USA et l'argent de l’Arabie Saoudite dans le cadre de la lutte contre l'URSS en Afghanistan.
Ainsi, comme pour expliquer son mutisme, 11 heures après l’annonce de l’acte de liquidation de Ben Laden, un porte-parole du ministère des affaires étrangères du Pakistan a fait une déclaration qualifiée de "malicieuse" par des observateurs de cette région : « l'opération a été menée par les Etats-Unis. Les USA d’ailleurs avaient annoncé leur position que Ben Laden sera éliminé par des actions qui leurs sont propres dès qu’il aura été trouvé.» Quelques jours plus tard, le Président pakistanais, au cours d’un entretien avec des journalistes du "Washington-post", avait déclaré de son côté, que « le Pakistan n’était pas au courant des actions planifiées des USA ».
Islamabad a, à la fois, exprimé son inquiétude et fait des critiques vis-à-vis des Etats-Unis pour leurs interventions sans autorisation des pouvoirs pakistanais.
À son tour, le haut commandement militaire du Pakistan a fermement exigé la réduction de l’effectif du contingent militaire américain déployé sur le territoire pakistanais. Le chef d’état-major des troupes terrestres, le général Achfak Kayanie a déclaré, que la réédition dans le futur d’actions non autorisées par Islamabad officiel sera traitée comme telle : « toute nouvelle irruption de l'armée américaine sur le territoire du Pakistan s'interrompra durablement et entrainera la révision radicale des bases de la coopération militaire entre les deux pays ».
Les services secrets pakistanais, ISI, ont d’ailleurs à dessein, favorisé des fuites autour de certaines informations jugées sensibles et qui ont ainsi été déclassifiées. C’est le cas du nom du chef de la représentation de la CIA au Pakistan.
L’axe Islamabad - Moscou, désormais …
La visite officielle avortée en mai dernier du Président Asif Ali Zardari n’était pas pour finalement faciliter les choses. Ça aurait été interprété comme une anticipation sur les événements liés à la présence de Ben Laden dans son pays. Toutefois, il était loin d’imaginer l’issue fatale de son éventuelle localisation par les Etats-Unis.
Cette visite sera reportée à la célébration du 63ème anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre les pays. Le Président russe Dmitry Medvedev a finalement accueilli son hôte avec tous les honneurs, au mois de mai. On sait que l'élimination par les services secrets américains de Ben Laden sur le territoire du Pakistan et le tourbillon universel diplomatique et propagandiste augmentent en grande partie l’importance de la visite donnée.
Le président russe Dmitri Medvedev a discuté avec son homologue pakistanais, Asif Ali Zardari, en visite à Moscou, des relations bilatérales et des problèmes internationaux, notamment de la lutte contre le terrorisme et le narcotrafic, rapporte le service de presse du Kremlin.
« Les négociations entre MM.Medvedev et Zardari ont porté sur la synergie des efforts en vue du maintien de la paix, la stabilité et la sécurité dans la région et le monde, notamment dans la lutte contre le terrorisme, le narcotrafic et le crime organisé », lit-on dans le communiqué de presse.
Il est évident, que Moscou voulait également comprendre la position d’Islamabad face à la situation en Afghanistan, dès que les Etats-Unis auront entrepris l’évacuation de leurs troupes armées. Autrement dit, sa perception d’une participation des talibans dans un gouvernement à l’horizon 2014 mais également, dans le cas contraire, la perspective du maintien de la présence militaire américaine dans le pays.
De cela devrait dépendre, de façon directe, la radicalisation de l’islamisme dans le Caucase du Nord et les républiques de l'Asie centrale. Avec pour conséquences les menaces élevées du terrorisme et la multiplication du trafic de drogue ainsi que l'influence réelle des USA sur l'espace post-soviétique en Asie.
Pour Islamabad, les négociations de Moscou auraient pu constituer un épisode important dans la tactique de l’éloignement des USA, après le meurtre du «terroriste â„– 1».
Parmi les résultats des négociations, un accord-cadre de partenariat entre la Russie et le Pakistan. Le Président russe a fait remarquer que : « les relations russo-pakistanaises sont en constant développement donc, en progression avec un bénéfice mutuel aussi bien en matière de business que dans celui des cercles régionaux ou des structures publiques. Nous sommes engagés à la conjugaison de nos efforts respectifs sur l'arène internationale. Il est évident, que nos pays se heurtent aux mêmes menaces du terrorisme international »
Le président de la Russie a insisté auprès de son collègue pakistanais que seuls des efforts conjugués permettent de résister à ce « principal du 21ème siècle ». Dans la pratique, le Pakistan opte pour le rapprochement avec Moscou et ce, même au détriment des relations stratégiques qui le liaient jusque-là aux USA.
La visite de M. Zardari a montré, qu'Islamabad a un besoin d’élargir les liaisons avec Moscou.
La Russie est le plus important pays de l'Eurasie. Avec son vaste territoire, ses ressources énergétiques immenses et le niveau technologique qu’elle a atteint, et qui lui a permis d’être le premier du monde à envoyer une personne dans l’espace, elle mérite une plus grande attention du côté du Pakistan, d'autant plus qu'après la fin de la guerre froide et le mouvement vers un monde multipolaire, Islamabad réalise combien, il est nécessaire d'élargir à jamais les relations économiques et politiques.
Moscou a signifié un soutien fort à Islamabad à travers un renforcement à des projets fiancés à plusieurs milliards.
Des analystes n’hésitent pas à faire la comparaison avec l’aide américaine qu’ils qualifient de « corruptrice et contribuant à la croissance de la corruption. Ne remplissant d’autre part que les poches des entrepreneurs américains. Alors que l'aide russe est dirigée pour vers la construction des usines d'aciérie et d'autres objets de l'infrastructure, au profit du pays bénéficiaire en faisant travailler des milliers de gens », font-ils remarquer.
Une autre question ; c’est la coopération avec l'Afghanistan à l'intérieur du triangle Russie – Chine - Pakistan. La Chine qui, il y a longtemps, coopère activement avec le Pakistan dans l'économie et dans le domaine militaire.
Et ce n’est pas pour rien qu’un document définit déjà le nouvel axe de cette coopération à l’issue de la rencontre au sommet de l’organisation de la coopération du Shanghai (OCS), qui se tiendra dans la capitale du Kazakhstan en ce moi de juin. Le Pakistan y sera présent à titre d’observateur.
Il faut souligner que Moscou et Pékin ont créé l’OCS pour résister aux menaces transfrontières en Asie centrale. L’OCS joue un rôle clé dans la garantie des pays de la région. Plusieurs pays voient d’ailleurs en cette organisation, comme le contrepoids potentiel de l'OTAN. L’observateur averti verrait bien l’OCS accueillir l’Afghanistan en son sein, dans un futur proche. Cela ouvre la perspective de ce que l’OCS, avec en tête la Russie et la Chine, peut assurer la stabilisation à l'Afghanistan aux lendemains de l’évacuation des forces de l’OTAN de ce pays.
Comme l’a souligné le journal indien "Times of India", le pays de Gandhi devrait soumettre son adhésion. Et la requête de New Delhi devrait être favorablement examinée au prochain sommet de l’OCS. Toutefois, comme le souligne l’article, la rivalité entre l’Inde et le Pakistan dont l’adhésion serait parrainée la Chine n’est pas à oublier.
Il parait tout à fait évident, que l'attaque de la résidence d’Abbottabad de Ben Laden au Pakistan a provoqué une sorte de "tsunami" d'antiaméricanisme qui, aujourd'hui semble envahir tout le Pakistan. Tous les grands partis politiques ainsi que le parti au pouvoir entendent adopter la même attitude que leur opinion nationale vis-à-vis des Etats-Unis. Pendant ce temps, des islamistes se radicalisent en présentant l'Amérique comme est hostile aux valeurs musulmanes.
Plusieurs analystes internationaux s’accordent à dire que la liquidation du leader d’Al-Qaïda est une victoire symbolique, et prématurément annoncée comme la fin réelle du terrorisme international. C'est pourquoi, le réchauffement des relations entre Moscou et Islamabad définit tout à fait nettement de nouveaux horizons et les regards se trouvent toujours braqués sur le Pakistan qui cherche plutôt à redorer son blason depuis l’humiliation qu’il a subie à travers le meurtre de Ben Laden sur son territoire. Et pour cela, le pays a besoin de l’expérience d’un pays comme la Russie. Un pays dont la grande expérience dans la lutte contre les terroristes et la volonté des hautes autorités du Pakistan pourront les amener à coordonner les efforts et résister ensemble au terrorisme international.
Déjà en avril dernier Moscou et Islamabad avaient décidé de renforcer leur coopération dans la lutte contre le terrorisme international. C’était à l’OCSasion de la conférence de presse qui avait suivi les négociations intergouvernementales russo-pakistanaises. Le premier ministre russe avait déclaré : « Nous avons examiné les questions importantes de la problématique internationale et relevé la nécessité d'une intensification globale des efforts de la communauté mondiale dans la lutte contre le terrorisme, nos pays comptent renforcer leur coopération en la matière.» Mikhaïl Fradkov a souligné qu'un groupe de travail russo-pakistanais pour la lutte contre le terrorisme international et les autres défis déstabilisant la sécurité internationale avait déjà été formé. Il dira que « La coopération dans les affaires régionales et mondiales avec le Pakistan est très importante pour la Russie » son homologue du Pakistan, Shaukat Aziz de déclarer que les négociations avaient permis d'examiner la situation dans la région asiatique et dans le monde en général : « Nous avons discuté des questions de la coopération du Pakistan avec l'Afghanistan, l'Inde, la Chine et l'Iran, et nous avons notamment examiné différents moyens indispensables pour régler la situation au Proche-Orient, dans les Territoires palestiniens, en Irak et en Afghanistan » Il a conclu en disant que « Le Pakistan croit sincèrement que la coopération avec la Russie est un élément clé de la politique étrangère du pays »