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L’Afrique aime protéger sa pauvreté

Apr 15, 2012

Par Aquilas YAO

Système de commerce international reposant sur l’absence de barrières douanières et non douanières à la circulation des biens et des services, le libre-échange est combattu par de nombreux économistes et hommes politiques africains qui voient en cette ouverture la perte de leur indépendance économique. Ils craignent de ne plus contrôler leurs marchés et d’en sortir fragilisés. Le libre-échange, vu comme un danger en Afrique, ne serait-il pas en réalité la clé de voûte du développement ?

La faillite du protectionnisme

Les pays africains malgré un sous-sol riche et des ressources naturelles
abondantes n’arrivent pas à sortir de la pauvreté. Ceci s’explique, en
partie, par l’absence de liberté sur les marchés du fait d’une forte
intervention des États très dirigistes.

La plupart de ces pays vivent dans la peur de l’Autre, avec d’une part des
barrières et des procédures administratives lourdes protégeant leurs
marchés, ce qui freine fortement le commerce, notamment, les échanges
intra-régionaux qui, ailleurs dans le monde, ont permis le progrès. À
l’heure où la crise européenne fragilise les échanges de l’Afrique vers le
vieux continent, cette logique de fermeture est d’autant plus préoccupante.

D’autre part, cette peur structurelle de l’ouverture et de la compétition
conduit les dirigeants africains à protéger des monopoles d’entreprises
amies ou du moins proches du pouvoir. Ceci conduit à une réduction de la
concurrence avec des conséquences négatives sur les prix et la qualité des
biens et services, au détriment des populations. L’exemple des secteurs de
l’eau et de l’électricité en Côte d’Ivoire en est une illustration parfaite
: ces secteurs souffrent d’un protectionnisme d’État qui donne le monopole à
une seule société. Cela conduit à des coupures intempestives, des coûts
élevés et un service client déplorable.

Ces aspects fâcheux du protectionnisme doivent impérativement nous conduire
vers un nouvel ordre économique, celui basé sur le libre-échange. Ce dernier
ne peut effrayer tant il est naturel en l’Homme et a jadis fait la richesse
du continent à l’époque des caravanes.

Les avantages du libre-échange

L’échange est un principe universel : nous avons tous besoin d’échanger.
Lorsqu’il se fait dans un climat de liberté de choix, l’échange génère de la
valeur : il est donc le fondement du développement. Lorsque l’échange
progresse, la richesse progresse parallèlement. Il est toujours bénéfique
car chacun sort gagnant quels que soient les partenaires et cela se reflète
aussi dans les relations entre les pays. L’histoire nous enseigne que le
libre-échange a une forte vertu pacificatrice. En écartant le « favoritisme
» d’État, la confiance s’installe et l’Autre n’est plus regardé comme un
danger mais comme un partenaire. Quand cet échange est entravé, cela génère

frustration et inégalité.

Il faut donc une rupture avec le protectionnisme trop souvent utilisé de
manière démagogique par les dirigeants qui pensent rassurer leurs
populations en leur promettant la sécurité, fermées à double tour dans un
pays bien hermétique.

La condition d’un bon échange, la libre concurrence

Pour des économistes comme Pascal Salin, la meilleure définition de la
concurrence est celle de la liberté d’entrée sur un marché. Cette
concurrence réussit dans un cadre qui rend le pouvoir aux individus, par des
mesures de « dérèglementation » et la levée des barrières qui vont favoriser
la modernisation, la diversification et les investissements.

L’exemple de la Côte d’Ivoire est intéressant dans le secteur de la
téléphonie mobile. L’ouverture à la concurrence a engendré une diminution
vertigineuse du coût de communication qui en dix ans est passé de 1000
francs CFA la minute (avec un seul opérateur) à 25 francs CFA la minute
(avec 5 opérateurs). Outre la diminution des coûts de la communication,
c’est la qualité, le désir d’améliorer les réseaux et les services qui
guident les responsables de ces firmes, au grand bonheur des populations.

La concurrence, comme le souligne l'économiste Henri Lepage, est « la
technique qui permet à la collectivité de bénéficier d’une qualité
d’informations ou de compétences supérieures à celles rendues possibles par
d’autres procédures de régulation sociale ». Il faut donc que la classe
politique africaine crée un cadre d’action marqué par l’encouragement de la
compétitivité avec des institutions économiques fortes et crédibles.

L’Afrique enchaînée

La Banque mondiale dans son dernier rapport intitulé « La défragmentation de
l’Afrique : approfondissement de l’intégration du commerce régional des
biens et services », publié le 8 février dernier, souligne l’importance pour
les pays d’Afrique de dynamiser leur commerce intra-régional, soulignant que
les différentes entraves à ces échanges faisaient perdre des milliards de
dollars en revenus commerciaux potentiels au continent. Au-delà même des
tarifs douaniers, la banque pointe la lourdeur des démarches administratives
sur fond de corruption, le manque de professionnalisme de certains
fonctionnaires et surtout une règlementation excessive (interdictions
d’exportation et d’importation ; procédures exigeantes et coûteuses
relatives aux licences d’exportation et d’importation ; etc.)

Les pays les plus développés ont progressé grâce à l’essor du climat de
liberté. Le tout étant de créer de bonnes incitations au développement. Au
lieu de continuer à tendre la main, les États africains gagneraient à lutter
notamment pour que les pays occidentaux puissent respecter les règles de
l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en abaissant leurs barrières
douanières et surtout en arrêtant de subventionner leur agriculture (exemple
du coton).

Martin Luther King disait, à juste titre, que « nous devons apprendre à
vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble
comme des idiots. » Vivre ensemble ne veut pas dire se renier, s’ouvrir ne
veut pas dire se perdre. L’Autre, n’est pas un danger mais bien une solution
et plus l’ouverture sera grande, plus les opportunités commerciales se
multiplieront, chaque pays gardant la force de sa spécificité. Conscient de
cette voie de progrès, on peut se demander pourquoi les dirigeants africains
se complaisent à maintenir leurs populations dans la pauvreté.

Aquilas YAO, analyste chez Audace Institut Afrique.

 

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