Le 9 juin, sous un ciel dégagé, le président du Niger, Mahamadou Issoufou, a entamé une visite d’Etat et d’amitié de 48 heures, auprès de son homologue guinéen, Alpha Condé, a constaté AfricaLog.com à Conakry.
Un impressionnant dispositif de sécurité a été mis en place à l’aéroport international de Conakry Gbessia et tout au long du trajet défini pour le cortège présidentiel. Prévu à 8h 00 GMT, c’est à 9h30 que l’avion présidentiel nigérien s’est immobilisé sur le tarmac de l’aéroport Gbessia. Le Président Mahamadou Issoufou est un ancien camarade de la FEANF (Fédération des étudiants africains noirs en France) du Président Alpha Condé.
Le Président nigérien, arrivé à bord d’un Boeing 737 aux couleurs du drapeau de son pays, coiffé de son habituel bonnet rouge, était tout de blanc vêtu. Au bas de la passerelle, il est accueilli par son homologue guinéen, Alpha Condé en costume noir, retranché derrière ses lunettes noires, accompagné de son Premier ministre, Mohamed Saïd Fofana, le Gouverneur de la ville de Conakry, Cdt Sékou Resco Camara. Ils ont fait le salut aux couleurs nationales, la revue des troupes, la poignée de mains aux représentants des institutions républicaines, aux membres du gouvernement, aux ambassadeurs, aux corps consulaires ainsi qu’aux représentants des ONG et institutions internationales.
Les deux Chefs d’Etat ont salué la communauté nigérienne, essentiellement composée par les élèves, les étudiants et les femmes du Niger vivant en Guinée, qui se sont fortement mobilisée pour la circonstance. Et puis les deux amis ont rejoint le salon d’honneur où Mahamadou Issoufou a décliné les raisons officielles de sa visite en ces termes: «Je suis venu en Guinée pour rendre visite à mon frère et ami, le Président Alpha Condé, avec lequel, nous partageons beaucoup de valeurs communes». Et d’estimer qu’il est tout à fait normal qu’il vienne échanger avec Alpha Condé sur les relations bilatérales entre leurs pays mais aussi sur la situation africaine et internationale.
Le nord du Mali brûle. A Bamako la transition peine à se mettre en marche. Quelles sont les solutions que vous Chefs d’Etat de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) avez envisagées pour résoudre la crise malienne?
Mahamadou Issoufou a aussitôt répondu: «Nous sommes très préoccupés par ce qui se passe au Mali qui vit une double crise. Une crise au niveau de Bamako (y a eu un coup d’Etat) et cette crise dans le Nord (des mouvements armés ont pris possession du Nord du Mali). Des mouvements armés appuyés par des terroristes, des trafiquants de drogue. Par rapport à cette double crise, nous avons, au niveau de la CEDEAO, défini une position très claire qui porte sur le rétablissement de l’ordre constitutionnel et la restauration de l’intégrité territoriale du Nord du Mali. Nous sommes très fermes là-dessus… »
Après cette interview de l’hôte de marque à l’aéroport, le cortège présidentiel a rejoint la Case Bellevue (où sont accueillis les hôtes de marque en Guinée), pour une pause de près de deux heures. Au rond point de l’aéroport, des jeunes brandissaient des banderoles frappées des slogans favorables au Président guinéen, entonnaient des chants qui encensent Alpha Condé et Mahamadou Issoufou.
A 12h 20 GMT, les deux chefs d’Etat sont arrivés au Palais du peuple devant un public qui a bravé l’ardeur du soleil. La façade principale du Palais est ornée de leur portrait en géant, sur lequel on pouvait lire: «Vive l’amitié Guinéo-nigérienne. Le peuple de Guinée souhaite la bienvenue au Président Mahamadou Issoufou du Niger».
Alpha Condé et Mahamadou Issoufou s’offrent un bain de foule. Mais bien des observateurs croient que la mobilisation n’a pas été à la hauteur des attentes de certains membres de la Coalition citoyenne, de la mouvance présidentielle réunie autour du RPG-arc-en-ciel et le Gouverneur de Conakry qui ont tenu à beaucoup mobiliser. Ça se dit que des jeunes ont été ramassés dans les confins de Conakry à coût d’espèces sonnantes et trébuchantes pour jouer à l’applaudimètre. «On n’est plus au temps des campagnes présidentielles pour mobiliser assez de monde. Les gens sont préoccupés par le quotidien», fait remarquer un observateur.
Signalons de passage que des observateurs étaient surpris de voir le ministre chargé de la Sécurité présidentielle, Claude Pivi alias Coplan, resté tranquille à la loge officielle pendant que le Président Alpha Condé et Mahamadou Issoufou s’offraient un bain de foule. «Il (Claude Pivi Ndlr) est devenu de plus en plus modeste, moins rabroueur, moins zélé», estime un participant. Des critiques ont été émises sur le fait que le Président guinéen a improvisé son discours alors que son homologue nigérien, lui a pris le soin de lire un discours écrit.
Extraits de leurs discours
Le Président Alpha Condé, dans son intervention de bienvenue a fustigé que le processus électoral en Guinée-Bissau ait été pris en otage par des militaires qui veulent une transition après le premier tour mouvementé de l’élection présidentielle. Il a rappelé de passage son opposition tout comme celle de son hôte à la «Somalisation de la Libye». Le temps nous donne raison, a dit Alpha Condé qui a aussi déclaré, entre autres: «Peuple de Guinée, aujourd’hui est une journée historique. En effet, il y a quelques années, le président actuel du Niger est venu avec d’autres leaders, pour que nous organisions un séminaire. Il a gardé un très mauvais souvenir. Car on a envoyé les gens de la CMIS (Compagnie mobile d’intervention et de sécurité Ndlr) pour les bousculer et les remettre dans l’avion, les chasser de la Guinée. Mais, j’ai pris l’engagement qu’un jour, il viendra en Guinée et qu’on lui déroulera le tapis rouge (…)
De 1980 à 2011, cela fait plus de 30 ans de combat avant que le président Issoufou ne devienne Président du Niger. Depuis qu’il est Président, le peuple du Niger est en train de constater un nombre de choses. La première, c’est que le fait d’être sahel n’est pas une fatalité, la faim n’est pas une fatalité. La preuve, il n’a pas beaucoup plu au Niger l’année dernière. Dans les autres années, il fallait que la communauté internationale se mobilise pour venir au secours du Niger. Cette année, personne n’a entendu un appel demandant de venir au secours, car le Président Issoufou et son parti ont su faire face au peuple et ils ont pu servir le peuple sans aide extérieure. Mieux, depuis les affaires du Mali, le Niger est le pays qui reçoit de plus de réfugiés. Malgré cela, vous n’entendez pas le peuple du Niger mendier, demandant à l’extérieur d’envoyer du riz ou d’envoyer du blé. Cela veut dire que ce sont des patriotes convaincus qui sont décidés à se battre pour leur peuple, à montrer que le peuple africain n’est pas condamné à rester dans la misère, n’est pas condamné au trafic de drogue, n’est pas condamné au Sida ou aux guerres civiles. Et lorsque de tels Présidents arrivent, alors c’est une nouvelle Afrique. Ce que Youssou N’Dour appelle New Africa. Le Président Issoufou et moi, nous avons une grande responsabilité. Nous sommes les deux militants de la FEANF à devenir Président en Afrique. Nous devons rester fidèles aux idéaux que nous avons défendus quand nous étions militants de la FEANF. Cela veut dire que nous devons être des modèles : montrer qu’on peut gouverner l’Afrique autrement. Que l’Afrique n’est pas condamnée à la mauvaise gouvernance, au pillage, aux vols. Que l’Afrique n’est pas condamnée à ce que quelques personnes pillent le pays pour aller garder l’argent dans les grandes banques en Suisse et autres(…)
C’est un grand honneur pour nous aujourd’hui de recevoir ce président qui est d’abord un frère. On n’aime pas beaucoup aujourd’hui le mot camarade, mais nous étions camarade avant d’être président. Et je suis fier de dire que nous sommes camarades même si nous sommes présidents aujourd’hui. Il n’est pas le seul, il y a d’autres (...)
Aujourd’hui, les gens sont trop pressés, mais quand on a pris un Etat en déliquescence, détruit par la corruption, il faut du temps pour le redresser. C’est pourquoi les peuples doivent être patients. Le peuple de Guinée comme le peuple du Niger doit être patient pour avoir enfin les fruits de son travail (…)»
Le Président Mahamadou Issoufou a aussi déclaré entre autres rendu un hommage à son ami, Alpha Condé qu’il a qualifié de «grand combattant» pour la démocratie et la liberté en Guinée et en Afrique. Il s’est dit heureux d’être une nouvelle fois à Conakry, qui a été «la capitale historique d’où sont partis tous les mouvements de décolonisation africains.» Il a dit entre autres: «Monsieur le président, vaillant peuple de Guinée, c’est avec une réelle émotion que je prends la parole devant vous ici à Conakry, capitale historique du mouvement de décolonisation en Afrique. Monsieur le président, mon cher frère, je suis autant plus ému que je viens à un moment où tu préside aux destinées du grand peuple de Guinée. Neuf ans après notre expulsion que tu as rappelée tout à l’heure de l’aéroport de Conakry, alors qu’à l’invitation du Rpg, nous étions venus participer à un séminaire organisé conjointement avec la fondation Jean Jaurès. J’avais fait alors le serment de revenir dans une Guinée démocratique et libre. Aujourd’hui, grâce à ton combat et grâce au combat de tous les patriotes et démocrates guinéens, la Guinée est libre, dirigée par le combattant de la liberté que tu as toujours été partout. Le grand démocrate qui as consacré une très grande partie de sa vie à l’idéal démocratique partout. Pour cela, il s’est avéré nécessaire en Guinée, en Afrique et dans le reste du monde. Je salue le grand résistant qui n’a eu de cesse de dénoncer les injustices et les autoritarismes pour le bien de nos peuples. Je salue le porteur des aspirations de la grande FEANF qui a façonné nos idéaux et donné un sens à nos engagements politiques de jeunesse et partant les combats qui sont les nôtres (…)
Dans le contexte politique actuel, ton engagement mon cher Alpha, ton engagement et ton comportement militant ont esquivé et fait espérer tant Africain de tout âge et de toutes les générations. Je sais combien tu es attaché à ton peuple et à ses aspirations les plus profondes, lui qui a tant subi et tant souffert dans sa chair des affres de la dictature et de l’injustice. Il te revient aujourd’hui de lui donner confiance, confiance comme il a tant besoin pour se projeter vers l’avenir, ce dont je ne puis douter. En démocrate convaincu, je sais que tu le conduiras avec beaucoup de convictions vers la construction d’une démocratie soucieuse des enjeux de développement et de bien-être pour tous. Les défis sont nombreux et redoutables, tu as eu le pouvoir dans un contexte international mouvementé marqué par des mutations profondes parfois très brutales. Et notre sous-région n’échappe pas à ces situations d’incertitude. C’est dans ce contexte que tu as la lourde mission de reconstruire l’Etat guinéen que tu trouves je le sais dans un état de déliquescence avancée. C’est dans ce contexte que tu dois conduire ton peuple vers plus de bien-être, de tranquillité et de quiétudes. Tu dois aussi relever le défi d’encrer définitivement la démocratie dans ton pays. Je sais qu’il t’a fallu beaucoup de foi, de détermination, de conviction pour venir à bout de ce cheminement tortueux et semé d’embûches que constitue ton parcours politique dont l’aboutissement a conduit aujourd’hui à la Guinée vers plus d’espérance. Des échos de tes actions salutaires depuis ton accession à la tête de l’Etat guinéen, nous parviennent et nous suivons tes combats avec beaucoup d’intérêts. Notre espoir, notre espoir le plus cher ait que tu réussisses (…)»
Signalons enfin que le président nigérien, Mahamadou Issoufou a été élevé au rang de «Citoyen d’Honneur de la ville de Conakry» et «Co-Président de la Guinée», par, respectivement le gouverneur, Cdt Sékou Resco Camara et par le Président Alpha Condé. A la fin de la journée, la conférence de presse conjointe des deux Chefs d’Etat annoncée à la Case Bellevue a été déplacée au Plais présidentiel de Sékhoutouréyah à 19h.
Un communiqué final sanctionnera ladite rencontre, pour aboutir à la fin du séjour de l’hôte de marque, le 10 juin, dans la matinée.
AfricaLog.com