AfricaLog.com – Le portail de l’actualité sur l’Afrique et le Monde
home

Isabelle Kibassa Maliba: « L’empathie est une sensibilité naturelle chez l’africain »

Mar 29, 2010

Au Congo, son pays d’origine, les « journées ville morte » et tant d’autres manifestations contre la dictature de Mobutu avaient tellement pavé son chemin qu’une fois en Belgique en 1995, elle n’a pas su rester insensible devant les événements liés à la fermeture des forges de Clabecq. Elle dit avoir ressenti « une sorte de symbiose » en vivant le désarroi et la colère de la population de Tubize à laquelle elle s’est identifiée et pour laquelle elle a ressenti le besoin de se battre…En 2006, le défi qu’elle s’était lancé est un pari réussi ; elle gagne aux élections communales et devient conseillère communale à Tubize/Belgique. Entretien avec cette belgo-congolaise, fille de Frédéric Kibassa Maliba et belle-fille d’Etienne Tshisekedi, deux grands noms de la politique Congolaise.

AfricaLog : Quelle est cette part positive de l’Afrique que vous avez apportée au PS Belge ?

La consolidation des bases de la solidarité en une sorte de rappel; car ici tout est devenu tellement mécanique que l’on en oublie le concept. Par exemple, quand je parle de notre système de mutualité en tant qu’entraide à la congolaise, en Belgique les gens trouvent cela fabuleux, et quand j’explique qu’en payant la mutuelle de santé ici, nous participons aussi à une solidarité, les gens le réalisent à peine. Par contre les personnes âgées, elles, le savent parce qu’elles se sont battues pour cela tandis que les jeunes considèrent cela juste comme un acquis; il faut le rappeler de temps en temps. Et je pense aussi que l’empathie est une sensibilité naturelle chez l’africain, elle est nécessaire pour être utile à bon escient, surtout pour nous socialistes qui prônons la solidarité.

Vous avez un penchant pour tout ce qui touche à l’Egypte Ancienne. Qu’en tirez-vous socialement, politiquement et culturellement afin d’influencer le progrès social au Congo et en Belgique ?

(Rires) J’espère que vos loisirs vous permettent aussi de vous évader…sinon la vie serait triste ! L’Egypte ancienne, par votre question je crois déceler le même penchant que moi ou du moins une connaissance de cette superbe civilisation…Mon penchant est en fait un lien avec ma culture. Ma famille paternelle descend de M’siri roi des bayekes, j’attache beaucoup d’importance à cette identité car comme l’a dit Marcus Garvey « Un peuple ignorant de son histoire est comme un arbre sans racines ». Nous avons hélas une tradition qui manque cruellement d’écrits. En étudiant les civilisations anciennes, j’ai été interpellée par les similitudes entre nos 2 cultures, donc par procuration, les écrits sur l’Egypte sont venus comme pour confirmer et justifier ma culture orale…c’est magique !!! Socialement, j’en retire une fierté qui sublime ma négritude.
Cette même défense de la négritude qui me fait prendre mon bâton de pèlerin avec le
RAPEC et l’UNESCO pour promouvoir l’art et la culture africaine, à mon petit niveau bien sûr, mais avec une passion à toute épreuve. Quant à l’interface avec le progrès social, je ne me suis jamais penchée là-dessus en partant de la base égyptienne, simplement parce que le modèle de progrès social, moderne est plutôt parti de la civilisation grecque du siècle de Périclès. Donc de l’Egypte je garde le lien de cet impression de félicité que je ressens quant j’arrive à Bunkeya, mon village et que là j’ai réellement l’impression de communier avec l’histoire et les ancêtres…

Comment la défenseuse des droits de la femme et de la protection des enfants que vous êtes réagit-elle face aux abus et violences dont sont victimes les femmes et les enfants à l’Est de la RDC, votre pays d’origine ?

Je suis révoltée au plus haut point ! Pourquoi cette bestialité sur les faibles? Ce sont les femmes qui portent la vie, qui la préserve et qui gardent l’église au milieu du village en temps de guerre, pourquoi doivent-elles en plus payer le prix le plus douloureux de la bêtise des hommes ? Pourquoi tant d’irresponsabilité face à sa progéniture ? Pourquoi condamner le futur du Congo en mettant une arme dans les mains d’un enfant ? Pourquoi lui pendre son innocence ? On dit chez nous en Afrique qu’un enfant, tant qu’il est dans le ventre, il appartient à sa maman mais dés qu’il est sorti, il devient l’enfant de tout le monde. Nous devons tous nous sentir concernés par le bien-être d’un enfant…le protéger, le préserver ! Que l’on puisse qualifier un enfant de « sorcier » pour se décharger de ses devoirs parentaux est simplement abjecte.

Les responsables ?

Tous ces hommes en armes; ces pseudo églises de réveil qui oeuvrent plus pour la désintégration des familles que pour la foi.

D’autres responsables ?

Ceux qui regardent et ne disent rien; Ceux qui peuvent et qui ne font rien; Et que dire de ceux qui ont le devoir et qui se montrent impuissants ? Ce problème qui gangrène la société congolaise doit être traité en plusieurs volets. Avant toute chose: identifier et punir sévèrement les coupables, ensuite un travail psychologique doit être fait sur les groupes à risque identifiés, agresseurs potentiels, afin de les reconstruire fondamentalement sur le plan de la citoyenneté. Rendre l’appareil judiciaire plus performant en lui donnant plus de moyens afin qu’on ne banalise plus ces actes odieux et répréhensible par manque de moyens. Que la justice ne se déclare plus impuissante devant ces actes. Il faut aussi penser aux victimes! Réhabilitation morale, et réparations: soutenir les victimes sur les plans médical et psychologique, l’accompagnement des victimes pour une réinsertion socio-économique, afin de leurs permettre de s’intégrer dans un circuit économique local, petits crédits, activités génératrices de ressources etc., sensibiliser les autorités militaires, administratives, coutumières, auditeurs comme aumôniers car ceci concerne tout le monde !
Formatrice en citoyenneté intégrée, j’ai collaboré à la rédaction du « manuel de citoyenneté et des droits de l’homme à l’usage des soldats de l’armée congolaise », j’ai participé aussi à la première phase de formation des officiers supérieurs, formation des formateurs en vue de la vulgarisation du manuel au sein de l’armée.

J’ai été touchée par le désir de ces officiers de vouloir s’impliquer pour faire changer cet état des choses car conscients que le devoir n°1 est de sauvegarder l’intégrité du territoire et des congolais, cela m’a confortée. Mais hélas, je crois savoir que la 2ième phase de vulgarisation a du plomb dans l’aile par manque de budget à allouer à ce programme…J’ose espérer qu’il ne s’agit pas là d’un manque de courage politique de ceux qui doivent soutenir ce programme.

Qu’écririez-vous sur du sable comme non-recommandable et que graveriez-vous sur une pierre comme recommandable aux immigrants et à nos lecteurs qui rêvent de faire de la politique comme vous ?

Comme non-recommandable: toujours rentrer dans le système et imploser dedans…influer sans perdre son identité. Comme recommandable: Nous avons tous en nous un potentiel de courage et d’abnégation. Avec de l’audace en plus nous pouvons même être des héros. Avec la solidarité, nous pouvons ériger des ponts. Avec de la volonté et de l’intelligence, nous pouvons remplir notre devoir: participer au progrès d’une nation et avec de la sagesse, les blessures de la vie servent à nous rappeler avec humilité d’où nous venons afin d’ajuster notre trajectoire quand tout part en vrille.

Contact : isabelle.kibassa@ps-tubize.be

Interview réalisée par Andy Kalala

 

 

Liens Sponsorisés