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Guinée: un jour avec la junte

Mar 08, 2010

Six mois après le massacre de 156 civils à Conakry, «Libération» est entré dans le camp militaire Yaya-Alpha-Diallo, siège du pouvoir. Aussi redouté que déglingué.

Le camp militaire Alpha- Yaya-Diallo, perchĂ© sur une colline, domine la banlieue de Conakry. A son entrĂ©e principale, une sentinelle dort dans un fauteuil, les pieds calĂ©s sur une chaise. Il est 7 h 45, un vendredi matin, jour du rassemblement gĂ©nĂ©ral. Un autre soldat, mitraillette en bandoulière, fait signe au taxi d’entrer, sans formalitĂ©s. Des deux cĂ´tĂ©s de la route qui monte vers l’arsenal, des civils vont Ă  pied. Femmes avec bassine sur la tĂŞte, adolescents en tenue beige de collĂ©giens… Le plus grand site militaire de GuinĂ©e est une ville dans la ville. Sur plus d’un kilomètre carrĂ©, il abrite la prĂ©sidence, l’infanterie, l’artillerie et les blindĂ©s, mais aussi trois Ă©coles, des terrains de sport et une usine de fabrication d’uniformes. Construit dans les annĂ©es 1950 par les colons français, le camp GĂ©nĂ©ral-Brosset a Ă©tĂ© rebaptisĂ© «Alpha-Yaya-Diallo» après l’indĂ©pendance, en 1958, en hommage Ă  un roi peul qui s’était illustrĂ© contre le colonisateur.

Le «camp», comme on l’appelle Ă  Conakry, fait peur aux habitants de la capitale. Et pour cause : il incarne le pouvoir sans partage exercĂ© depuis 1984 par l’armĂ©e en GuinĂ©e, d’abord sous le rĂ©gime de Lansana ContĂ©, puis, après sa mort en 2008, la junte du capitaine Moussa Dadis Camara. Ces trente dernières annĂ©es, deux coups d’Etat, deux mutineries et bien des rĂ©pressions de civils sont parties d’ici. Le dernier massacre en date, le 28 septembre, a fait au moins 156 morts au stade de Conakry. Une centaine de femmes ont Ă©tĂ© violĂ©es par la troupe, du jamais vu en GuinĂ©e.

Rangers réglementaires et bottines de ville

Ce jour-lĂ , les manifestants protestaient contre la candidature du chef de la junte, Camara, 45 ans, Ă  une prĂ©sidentielle qu’il avait d’abord promis d’organiser pour rendre le pouvoir aux civils. FilmĂ©es par les manifestants sur leurs portables, les images de la tuerie ont tout changĂ© en GuinĂ©e. Une enquĂŞte des Nations unies a poussĂ© Dadis Camara Ă  incriminer son aide de camp, Toumba DiakitĂ©. Ce dernier lui a logĂ© une balle dans la tĂŞte, le 3 dĂ©cembre, avant de prendre la fuite. NumĂ©ro 2 de la junte en tant que ministre de la DĂ©fense, le gĂ©nĂ©ral SĂ©kouba KonatĂ© a assumĂ© l’intĂ©rim de Camara, Ă©vacuĂ© et opĂ©rĂ© au Maroc. SĂ©kouba KonatĂ© s’est rendu Ă  son chevet, pour constater que son camarade Ă©tait très diminuĂ©. Soumis Ă  la pression des diplomates français et amĂ©ricains, il a promis, le 6 janvier, de rendre le pouvoir dans les six mois. Un gouvernement de transition a Ă©tĂ© nommĂ© le 15 fĂ©vrier, pour restructurer l’armĂ©e et organiser une Ă©lection prĂ©sidentielle. En passe de devenir un hĂ©ros national, KonatĂ© tente de maĂ®triser une situation fragile. Une procĂ©dure de la Cour pĂ©nale internationale (CPI) pourrait ĂŞtre lancĂ©e contre les auteurs du massacre. Pour calmer le jeu, le gĂ©nĂ©ral prĂ©sident a nommĂ© le 16 fĂ©vrier plusieurs officiers, dont les responsables de la rĂ©pression du 28 septembre, dans un cabinet prĂ©sidentiel qui va Ĺ“uvrer en marge du gouvernement de transition.

A 7 h 55, la fanfare retentit dans le camp. Marchant au pas derrière l’orchestre, les premiers soldats se dirigent vers la cour de l’état-major. BĂ©rets rouges pour la garde prĂ©sidentielle, verts pour l’armĂ©e de terre et noirs pour l’unitĂ© antidrogue et banditisme, formĂ©e en 2009 par la nouvelle junte pour lutter contre les narcotrafiquants, qui avaient pignon sur rue Ă  Conakry. A l’entrĂ©e de l’état-major, le garde de service ne prĂŞte pas attention au rassemblement gĂ©nĂ©ral. PlongĂ© dans un livre, derrière une guĂ©rite encombrĂ©e d’ustensiles pour prĂ©parer le thĂ©. Dans une vaste cour, un officier s’énerve et tente de mettre la troupe en rang. «C’est quoi ce bordel ?» l’entend-on crier. Les hommes en tenue arrivent sans se presser, par petits groupes. Les uns parlent politique, les autres se saluent bruyamment. La plupart portent les rangers rĂ©glementaires, certains des bottines de ville, d’autres des chaussures de marche jaunes. Un portable sonne. La Lettre Ă  Elise retentit, se mĂŞlant Ă  l’hymne national, au moment du lever de drapeau.

Une armée qui compte plus de gradés que de soldats

Jusqu’à 8 h 35, les retardataires continuent d’arriver, la plupart Ă  moto. L’un d’entre eux, cigarette aux lèvres, coupe le moteur pour ne pas se faire remarquer. Quelques instants plus tard, sur les 10 000 soldats qui relèvent du camp, 200 ont rĂ©pondu Ă  l’appel. Ils sortent de la cour de l’état-major par rangĂ©es de quatre, puis en ordre dispersĂ©. A l’intĂ©rieur du bâtiment qui abrite le commandement, pas de lumière. Le camp n’échappe pas aux pannes d’électricitĂ© qui frappent la capitale. Il n’y a pas d’eau courante, Ă  en juger par le garçon qui monte un seau dans des escaliers sombres. Au bout d’un couloir, la porte du bureau d’un colonel s’ouvre sur une odeur de renfermĂ©, mĂŞlĂ©e Ă  des relents de toilettes. Dans un coin, sous la fenĂŞtre, un lit dĂ©fait.

Le commandant est absent depuis deux jours parce qu’il a mal aux pieds. Son adjoint, Tambakalas Tolno, refuse de faire visiter les lieux. Il n’a pas reçu d’ordre du chef d’état-major, qu’il appelle sur son portable. Il faudra revenir avec une autorisation signĂ©e. Il se lance tout de mĂŞme dans une petite promenade. Il explique qu’une partie seulement des soldats logent dans des immeubles de trois Ă©tages et des maisons sommaires aux toits de tĂ´le ondulĂ©e. La majoritĂ© habite en ville. «Des logements pour au moins 2 000 soldats vont ĂŞtre construits», dit-il. Un hĂ´pital militaire est en chantier, avec une unitĂ© de pĂ©diatrie, un bloc opĂ©ratoire et une morgue. A la vue du commandant adjoint, un soldat Ă  moto s’arrĂŞte net, le visage grave, prĂŞt pour la rĂ©primande. «Tu as des nouvelles de Germain ? s’enquiert l’officier. Tu lui diras de rentrer dans les rangs !» Officiellement, il n’y a pas de prison mais une «maison d’arrĂŞt» rĂ©servĂ©e aux militaires. C’est lĂ  qu’a Ă©tĂ© enfermĂ© fin novembre Mouctar Diallo, un militant des droits de l’homme, libĂ©rĂ© le 29 janvier Ă  la demande expresse du nouveau Premier ministre de transition, Jean-Marie DorĂ©.

A 9 heures, des unitĂ©s sont regroupĂ©es Ă  l’ombre, sous des arbres, et reçoivent des instructions. Des lieutenants dirigent leurs supĂ©rieurs, parmi lesquels nombre de vieux colonels. Moussa Dadis Camara a promu par dĂ©cret toute l’armĂ©e, du caporal au gĂ©nĂ©ral, en deux fois (fin 2008 et 2009). En moins d’un an, un capitaine est passĂ© colonel. RĂ©sultat : l’armĂ©e guinĂ©enne, vieillissante et indisciplinĂ©e, compte plus de gradĂ©s que de soldats. Mais ce qui donne le plus de soucis Ă  Tolno, ce sont les 1 275 hommes qui se relaient depuis 1998 aux frontières. Ces zones doivent ĂŞtre sĂ©curisĂ©es en permanence du cĂ´tĂ© de la Sierra Leone, du Liberia et de la CĂ´te-d’Ivoire, malgrĂ© la fin des guerres civiles. Quelle part de l’armĂ©e ces hommes reprĂ©sentent-ils ? Le commandant hoche la tĂŞte et reste muet. «Personne en GuinĂ©e ne sait quels sont les effectifs», explique Aliou Barry, ancien de Saint-Cyr, auteur d’un livre sur le sujet (1). Plusieurs campagnes de recrutement ayant Ă©tĂ© faites sous ContĂ© puis Camara, ses estimations vont de 20 000 Ă  50 000 hommes.

Aux portes du camp, les militaires vont et viennent, toute la journĂ©e. Dès le matin, la bière coule au mess des officiers, un bar qui ne ferme jamais. «Ils n’ont rien Ă  foutre en ce moment», lâche le lieutenant-colonel Mamadou Diaw. «Ils ne reçoivent pas d’instruction, qui est la base de toute activitĂ© militaire», confirme un gĂ©nĂ©ral Ă  la retraite. Il ne sera pas facile de les faire retourner dans leurs casernes. Un officier supĂ©rieur gagne 150 euros de solde, plus qu’un magistrat et moitiĂ© moins qu’un ministre. Comme tous les fonctionnaires, il doit «se dĂ©brouiller» pour gagner sa vie. Pour rouler en 4x4 et faire construire des villas, il faut participer Ă  toutes sortes «d’affaires».SĂ©kouba KonatĂ© multiplie, depuis janvier, les visites dans les garnisons, pour promettre l’aide internationale Ă  la restructuration de l’armĂ©e, et la participation Ă  de nouvelles forces d’intervention dans des zones de conflit. «La guerre, ça veut dire des primes payĂ©es en devises», commente Diaw. «Certains payaient pour aller au front», affirme un ancien commandant, du temps des missions d’interposition en Sierra Leone et au Liberia, dans les annĂ©es 1990.

«Les militaires sont lĂ  en tant que parasites»

La fin des guerres civiles dans ces deux pays s’est soldĂ©e par le retour au bercail de militaires guinĂ©ens, initiĂ©s Ă  des mĂ©thodes peu orthodoxes. Ils ont vu, dans ces pays, des armĂ©es rĂ©gulières piller, violer et tuer. «Partout oĂą il y a de l’argent, les militaires sont lĂ  en tant que parasites», se plaint un homme d’affaires. En ville, on les voit dans les banques et jusque dans les bureaux du siège de la Banque centrale. «A l’instant, un bĂ©ret rouge me demandait encore de l’argent, raconte Mohammed Diop, le gouverneur de Conakry.Il me dit que sa mère est malade, que sa tante est dĂ©cĂ©dĂ©e et qu’il doit six mois de loyer…»

En GuinĂ©e, oĂą tout s’achète, un poste dans l’armĂ©e coĂ»te autour de 250 euros, explique Barry. «Acheter un poste par la voie officielle, ce n’est pas possible, dĂ©ment Diaw. Par contre, si l’on vient me parler d’un enfant qui veut devenir militaire, en me disant qu’on est prĂŞt Ă  aider, alors lĂ , je ne sais pas. Du moment que ça reste entre nous.» A cause de ce système, certains Ă©lĂ©ments s’avèrent difficiles Ă  commander. Sous le rĂ©gime de ContĂ©, les jeunes «recommandĂ©s» par les trois femmes du PrĂ©sident devaient verser des dessous-de-table moins Ă©levĂ©s que «les non recommandĂ©s», et ils Ă©taient dispensĂ©s des examens d’entrĂ©e. Avec KonatĂ©, un vent d’espoir s’est levĂ©, mĂŞme dans l’armĂ©e, qui a changĂ© d’attitude Ă  l’égard des civils, encore incrĂ©dules. «C’est un processus irrĂ©versible, assure Mamadou Toto Camara, le ministre de la SĂ©curitĂ©. Nous avons compris qu’il faut partir.» A l’une des sorties secondaires du camp, trois moutons bloquent la route. Des soldats dorment Ă  l’ombre, sous les arbres. Il est 16 h 30. La journĂ©e de travail est terminĂ©e. - LibĂ©ration

(1) «L’ArmĂ©e guinĂ©enne. Comment et pour quoi faire ?», l’Harmattan, 2009.

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