Principal opposant au président Macky Sall, Ousmane Sonko a séduit les jeunes Sénégalais avec des idées antisystèmes. Son inculpation dans une affaire de viol présumé et son arrestation ont déclenché une crise politique inédite. De nouveau libre, mais sous contrôle judiciaire, il a appelé ses partisans à poursuivre de manière "pacifique" la contestation qui secoue le Sénégal depuis le 3 mars.
"Il faut garder cette mobilisation. Il faut qu'elle soit beaucoup plus importante même, mais il faut surtout qu'elle soit pacifique." Ousmane Sonko s'est exprimé lundi 8 mars, face à la presse, quelques heures après avoir été libéré et placé sous contrôle judiciaire. Le député de 46 ans a également déclaré que le président Macky Sall n'était plus "légitime à diriger le Sénégal".
Convoqué le 3 mars au tribunal de Dakar pour répondre aux accusations de viol d'une jeune employée d'un salon de beauté, Ousmane Sonko a été arrêté à la suite de heurts entre ses partisans et les forces de l'ordre. Les violences se sont ensuite propagées dans plusieurs villes du pays, faisant au moins cinq morts.
Quasiment inconnu avant l'élection présidentielle de 2019, Ousmane Sonko s'est imposé comme le principal opposant du chef de l'État en arrivant troisième du scrutin avec 15 % des voix (derrière Macky Sall et Idrissa Seck).
Alors qu'il a affirmé sa position auprès des jeunes électeurs, les principaux rivaux du chef de l'État ont, eux, été écartés de la vie politique ces dernières années. Karim Wade, fils et ancien ministre de l'ex-président Abdoulaye Wade, et Khalifa Sall, maire déchu de Dakar, ont tous deux été condamnés pour malversations financières. Et l'ancien Premier ministre Idrissa Seck a, lui, préféré rejoindre les rangs de la majorité.
Fils de parents fonctionnaires, et originaire de Casamance dans le sud du Sénégal, Ousmane Sonko s'est lancé en politique en 2014 en créant son propre parti, le Pastef (Patriotes du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité).
Élu député trois ans plus tard, il se montre à l'aise à la télévision et souriant lors de ses rencontres avec les militants. Avec des phrases souvent percutantes, il s'inscrit en faux contre le récit officiel d'un Sénégal "sur la voie de l'émergence", mantra du président Macky Sall.
"Ousmane Sonko a une personnalité différente de celles de l'establishment politique sénégalais. C'est quelqu'un qui a un discours de rupture par rapport au système et qui est très populaire auprès de la jeunesse sénégalaise. Le Sénégal, comme tous les pays de la région, est très jeune et cela constitue un poids électoral important", analyse l'économiste et politologue sénégalais Olakounlé Gilles Yabi.
Parmi les thèmes régulièrement abordés par le député, et qui lui valent l'étiquette d'anti-système : la défense de la souveraineté économique et le plaidoyer pour une sortie du franc CFA, présenté comme un symbole post-colonial.
Ousmane Sonko a également fait de la dénonciation de la fraude fiscale et de la critique du train de vie de l'État et de l'endettement son cheval de bataille. Diplômé en finances publiques et employé comme fonctionnaire pendant quinze ans, il a été radié en 2016 de son poste d'inspecteur des impôts après avoir dénoncé l'opacité de certains contrats publics ainsi que les privilèges indus selon lui de la classe politique.
Deux ans plus tard, il a publié l'ouvrage "Pétrole et gaz au Sénégal - Chronique d'une spoliation", dans lequel il accuse le président Macky Sall et son entourage de malversations dans la gestion des ressources naturelles du pays.
"Théoriquement, aucun homme politique au Sénégal ne devrait être très, très riche, puisque nous savons d'où provient la richesse, souvent, des hommes politiques en Afrique. C'est de la richesse qui provient des détournements de deniers publics", dénonçait-il en 2018.
Malgré son contrôle judiciaire, Ousmane Sonko n'entend pas baisser les armes face à Macky Sall. Il a appelé lundi à poursuivre la mobilisation. "La révolution est déjà lancée, rien ni personne ne pourra l'arrêter", a-t-il déclaré face à la presse.
"Il est très clair qu'Ousmane Sonko est dans une logique d'utilisation de la mobilisation de ces derniers jours comme un élément important dans une bataille politique contre le pouvoir en place", estime Olakounlé Gilles Yabi.
Une analyse que partage, le politologue Papa Fara Diallo, enseignant-chercheur à l'université Gaston-Berger, à Dakar. "Ousmane Sonko a tout intérêt à politiser cette affaire pour ne pas laisser prospérer le débat sur une accusation de viol qui n'arrange pas son image.â€
L'opposant a bien compris que les manifestations de ces derniers jours avaient largement dépassé les accusations qui le visent. La pandémie de Covid-19 a provoqué une crise économique qui frappe durement les jeunes Sénégalais, dont beaucoup se sont retrouvés au chômage.
"C'est sur ce terreau, que la perception d'un recul de l'État de droit ces dernières années est venu créé un très grand sentiment de frustration qui a profité à Ousmane Sonko. Il n'est pas le seul déclencheur de ces manifestations", souligne Olakounlé Gilles Yabi.
Dans un discours prononcé lundi soir, le président Macky Sall a, lui, appelé les Sénégalais au "calme et à la sérénité". "Tous, ensemble, taisons nos rancœurs et évitons la logique de l'affrontement qui mène au pire", a déclaré Macky Sall dans une allocution retransmise à la télévision. Il a appelé à laisser la justice "suivre son cours en toute indépendance" dans le dossier de viols présumés qui vise Ousmane Sonko. - AfricaLog avec agence